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LE CARDINAL DE RICHELIEU.

pauté de Catalogne avec la Cerdagne et le Roussillon. Agitée au nord par des mouvemens révolutionnaires, menacée au centre de ses possessions magnifiques par une torpeur incurable, l’Espagne souffrait du vice organique caché à l’origine même de son histoire.

La grande unité française, à laquelle Richelieu venait mettre le dernier sceau, s’était formée par une élaboration successive et régulière qui n’avait eu rien d’analogue au-delà des Pyrénées. Chaque effort de la nature ou des hommes pour constituer la nationalité péninsulaire avait été arrêté par un concours de circonstances déplorables. La hiérarchie féodale, ce moule d’airain des sociétés chrétiennes, avait vu son travail entravé chez les populations espagnoles par la grande invasion sarrasine. Durant six siècles, l’Espagne, au lieu de travailler, à l’exemple de la France, à constituer son gouvernement sous une unité puissante, n’avait songé qu’à reconquérir pied à pied les tombeaux de ses pères. Elle subdivisa son sol pour le mieux défendre. L’influence fatale de la succession féminine dans ces royaumes que la nature et l’histoire avaient rendus étrangers l’un à l’autre, maintint les diverses provinces de la monarchie dans un isolement légal, alors même que des mariages ou des conquêtes venaient à provoquer leur réunion accidentelle. Soumise, au commencement du XVIe siècle, à une royauté étrangère, l’Espagne devint l’accessoire et l’instrument d’une politique qui cherchait ses inspirations en Flandre et dans l’empire. Pour défendre Charles-Quint en Allemagne et Philippe II dans les Pays-Bas, la Péninsule se trouva contrainte à des efforts hors de proportion avec ses forces véritables. L’expulsion d’une race ennemie avait frappé de stérilité la plus belle partie de son territoire, au moment même où la découverte d’un monde nouveau épuisait son activité en l’entraînant sur des plages lointaines. L’Espagne substituait l’or à la richesse, et dérobait sous un imposant appareil le triste secret de ses blessures. Ce secret n’échappait point à Richelieu, et ce ministre en profitait avec une habileté persévérante. Pendant que le comte d’Olivarès accueillait à Madrid ou soudoyait à Paris des hommes sans influence, tandis qu’il se mêlait à toutes les intrigues et compromettait sa cour dans les conspirations avortées contre le pouvoir ou la vie du cardinal, celui-ci atteignait la monarchie espagnole au cœur. Aubery constate l’active participation de la France à la révolution du Portugal[1]. Si les Mémoires que nous avons suivis comme le guide le

  1. Liv. VI, chap. 64.