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MORALISTES DE LA FRANCE.

livre même, dussé-je paraître de ceux un peu légers dont il dit, non sans dédain, qu’ils ne recherchent en tout que la fleur :

Decerpunt flores et summa cacumina captant.

Son Addition à l’Histoire de Louis XI (1630) est le dernier ouvrage qu’il publia avant son départ pour l’Italie. Il y prélude d’instinct à ses Coups d’État et à son prochain code de la science des princes par la prédilection qu’il marque pour le plus advisé de nos rois, pour l’Euclide et l’Archimède de la politique, comme il le qualifie. Voulant montrer que Louis XI n’était pas du tout aussi ignorant qu’on l’a prétendu et que l’a dit surtout le léger historien bel-esprit Mathieu, il reprend le côté littéraire de l’histoire de ce règne ; c’est un prétexte pour lui d’y rattacher une foule de particularités sur les livres, sur le prix qu’on y mettait dans les vieux temps, de raconter au long la renaissance des lettres et de discuter à fond les origines de l’imprimerie introduite en France précisément sous Louis XI. Au nombre des écrits attribués à ce prince, il omet la part, si gracieuse pourtant et si piquante, qui lui revient dans la composition des Cent Nouvelles nouvelles, ce sur quoi nous insisterions de préférence aujourd’hui. Mais Naudé, nous l’avons dit, ne faisait aucun cas des romans et contes en langue vulgaire, et ne daignait s’enquérir de leur plus ou moins d’agrément ; s’il s’est montré quelque peu savant en us, ç’a été par cet endroit.

Il ne l’est pas du tout d’ailleurs dans le choix de la thèse qu’il entreprend ici de prouver. S’il veut que Louis XI ait été un prince plus lettré qu’on ne l’a dit, ce n’est pas qu’il attribue aux lettres plus d’influence qu’il ne faut sur l’art de gouverner. Loin de là, il pose tout d’abord la différence qu’il y a entre les lettrés, d’ordinaire mélancoliques et songearts, et les hommes d’action et de gouvernement auxquels sont dévolues des qualités toutes contraires : Paucis ad bonam mentem opus est litteris, répétait-il d’après Sénèque, il ne vaut pas tant de lecture dans la pratique à un esprit bien fait, et il insiste sur cette vérité de bon sens en homme d’esprit, tout-à-fait dégagé du métier.

Son voyage d’Italie et le long séjour qu’il y fit achevèrent vite de l’aiguiser et de lui donner toute sa finesse morale. Ces douze années, depuis l’âge de trente jusqu’à quarante-deux ans, lui mirent le cachet dans toute son empreinte. Devenu l’un des domestiques comme on disait, du cardinal de Bagni, adopté dans la famille, il se