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ÉTUDES SUR L’ANGLETERRE.

contestable de la réussite des Mystères de Paris. Vraiment, c’est bien quelque chose.

Rosalie est le contingent fourni par M. de Balzac aux Mystères de la Province.

Rosalie, on ne saurait le dissimuler, est l’une des compositions les moins heureuses de l’auteur de la Peau de Chagrin. C’est, je crois, ce malappris de Dassoucy qui, dans son langage d’antichambre, comparait l’œuvre poétique de Corneille à ces poissons dont le milieu est exquis, mais dont les gourmets doivent couper résolument la tête et la queue. En effet, on supprime d’un côté Mélite, de l’autre Agésilas, pour garder Cinna. Certes, M. de Balzac aurait mauvaise grace à se formaliser du rapprochement : c’est même à sa modestie de juger si la comparaison est possible, si elle est convenable ailleurs que sur ce point particulier. Pour nous, on le devine, nous ne voulons maintenir qu’une seule chose, la similitude de deux destinées littéraires qui s’achèvent précisément de la même façon qu’elles ont commencé. M. de Balzac a eu d’abord ses temps barbares : il a maintenant son bas-empire, un bas-empire qu’à distance on confondra volontiers avec ses temps barbares. À vrai dire, je soupçonnerais presque Rosalie d’être un secret plagiat de M. de Balzac sur lord R’hoone, sur M. de Viellerglé, ou mieux encore sur ce trop célèbre Horace de Saint-Aubin, dont je ne sais quelle malencontreuse métempsychose d’amour-propre exhumait naguère les chefs-d’œuvre oubliés ?

C’est à Besançon que se passe la médiocre histoire délayée en deux volumes, sous le nom de Rosalie, par M. de Balzac. Et d’abord, on est transporté dans une de ces maisons de province comme la plume de l’auteur les sait peindre, avec une si merveilleuse vérité, avec une divination de détails qui vous fait voir les objets et entendre les personnes. Un mari nul et faible qui passe sa vie à tourner des ustensiles dans son atelier d’amateur, une mère revêche, coquette et dévote, une jeune fille insignifiante et timorée devant sa mère, tel est l’intérieur de la famille Watteville, famille riche, économe, et dont un fat suranné du lieu, un vrai lion de province, M. Amédée de Soulas, convoite à petit bruit l’héritière. Jusqu’ici, tout est au mieux, et nous ne sortons pas de la vraisemblance. Voici cependant qu’un beau jour débarque à Besançon un avocat inconnu, M. Savaron. M. Savaron est tout bonnement un ambitieux déçu, lequel vient, loin de Paris, chercher la fortune qu’il a manquée sur un théâtre plus brillant. Dans les premiers temps, on ne s’occupe guère du nouvel avocat ; mais une cause importante arrive enfin, où il parle avec éloquence, et où son beau talent éclate aux yeux de tous. Bientôt il n’est question que de Savaron dans tout l’arrondissement : c’est l’homme nécessaire. L’avocat alors publie une revue, et tout le monde s’abonne à sa revue ; c’est une réussite complète : les dossiers et les causes abondent dans son cabinet ; aucune affaire importante ne se règle sans qu’il y soit appelé ; enfin on est unanime a lui offrir la députation.