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REVUE. — CHRONIQUE.

aimerions à apprendre de plus habiles que nous, c’est comment cette liberté sera distribuée et garantie, sans danger pour elle-même, sans danger pour l’état. Là est la difficulté, la difficulté tout entière, il n’en est pas d’autre.

Au surplus, nous sommes sans inquiétudes sérieuses et pour la liberté et pour l’état. Nous croyons le pays plus sage, plus éclairé, plus prudent que ceux qui s’efforceraient de l’entraîner dans quelque voie extrême. La théocratie est aussi impossible aujourd’hui que l’impiété systématique. Le pays sent sa force, sa virilité. Il ne veut pas plus de la décrépitude que de l’enfance des sociétés civiles.

Il n’y a donc de quoi s’alarmer dans aucun sens, pour aucun intérêt : on fera, nous le croyons, une juste part à toutes choses. Et si nous attendons avec quelque impatience le projet de M. Villemain, nous l’attendons aussi avec une pleine confiance. Homme de l’Université, il ne sait pas moins ce que le pays doit de protection et de sollicitude aux graves intérêts moraux que l’église représente, et qui ont droit à tous nos respects.


REVUE MUSICALE.

L’histoire du roi Sébastien de Portugal, histoire romanesque s’il en fut, et où la poésie ne manque pas, répondait singulièrement aux conditions du drame lyrique. Malheureusement, en mettant à la scène le chevaleresque aventurier, M. Scribe paraît ne s’être occupé que d’une chose, à savoir, d’élaguer prudemment de son sujet tout ce qui en constituait l’originalité. Nous n’avons pas le moins du monde la prétention d’en remontrer ici à M. Scribe ; toutefois, ne peut-on dire qu’il s’est trompé sur la manière dont il convenait d’envisager le poème de Dom Sébastien, l’un des plus beaux, assurément, qu’il y eût à mettre au théâtre ? Bien loin de s’en tenir à côtoyer le lieu-commun historique, il fallait, ce nous semble, aborder le merveilleux et tailler en plein dans la légende, qui, Dieu merci, laissait le champ libre à l’invention poétique. N’était-ce pas une physionomie dramatique et neuve, que ce Marco Cotizzone suscité par l’Espagne contre le faible roi de Portugal, et trahissant à la fois Philippe et Sébastien pour essayer de confisquer la couronne à son profit ? Il y avait là peut-être l’étoffe d’un second Bertram, mais d’un Bertram réel, possible, et sur lequel on aurait au besoin laissé planer ce doute de certains historiens espagnols, assez enclins à prendre l’aventurier calabrais pour le diable en personne. Zurita parle d’une cloche fantastique d’Aragon dont les rois d’Espagne et de Portugal, si éloignés qu’ils en fussent, entendaient le glas mystérieux chaque fois qu’un grand malheur les menaçait : au moment où Marco Cotizzone, arrivant de Madrid à Lisbonne, entra dans le palais de Belem, la cloche prophétique sonnait, et ce fut elle encore dont la voix lugubre annonça à Philippe II mourant le retour de Sé-