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REVUE. — CHRONIQUE.

Moldaw, qu’à la fin du second acte il maudissait et détestait avec une sorte de rage ? Nul ne le sait, et il ne le sait peut-être pas lui-même. Mais voyez comme nous allons vite ! Florette, qui a revu Julien, lequel ne lui a pas fait grand accueil, est irritée, piquée au vif, et, pour se venger, veut se marier aussitôt ; Léopold est exactement dans la même disposition, et il se conclut, entre le jeune homme et la jeune fille, un projet de mariage par vengeance, qui fournit une scène assez originale et assez gaie.

Ce singulier mariage va s’accomplir, lorsque Léopold apprend la vérité, toute la vérité, sur le compte de Mlle de Moldaw. Elle est restée pure, sa vie est sans reproche ; Amélie explique les absences et les déguisemens qu’on lui imputait à crime, en faisant connaître à Léopold que c’est elle qui, sous l’habit de religieuse, allait le veiller dans sa prison quand il était malade et qu’il avait le délire ; et, pour preuve, elle veut lui rendre un anneau qu’elle portait précieusement à son doigt depuis le jour où, dans un accès d’exaltation fiévreuse, il l’avait donné à la religieuse qui veillait à son chevet. Cet anneau, on le devine, sera bientôt l’anneau nuptial, et la tutrice, en devenant la femme de son pupille, lui rend de si beaux comptes de tutelle, qu’on voit bien que nous sommes dans un vieux château d’Allemagne.

Cette pièce a de l’entrain ; le caractère de la tutrice est d’une donnée assez neuve, et l’esprit, sans y être de haut vol, n’est pas trop vulgaire. Les acteurs ont fait preuve de talent. M. Provost, dans le rôle de Conrad, s’est montré comique et naturel. M. Brindeau a été un comte de Vurzbourg à peu près irréprochable ; s’il n’a pas eu plus d’éclat, c’est moins sa faute que celle de son rôle. Mlle Brohan est une gaie et naïve Florette. Enfin Mlle Plessy, qui remplissait le rôle de la chanoinesse Amélie de Moldaw, a été pleine de réserve et de bon goût, et, dans deux ou trois de ces longues tirades où excellait Mlle Mars avec ses inflexions si savantes, elle s’est souvenue très heureusement du parfait modèle.

Nous attendons M. Scribe à une œuvre plus importante, à une grande toile. Il n’est pas vrai, comme on se plaît à le répéter, que la comédie ne soit plus possible, que Molière et le XVIIIe siècle aient épuisé le champ des faiblesses, des sottises et des vices de l’homme, et que, les maîtres s’étant emparés des principaux sujets, il ne reste plus qu’à glaner. Si vieille que soit une littérature, si vieux même que soit le monde, les sujets ne manqueront jamais au génie, qui est précisément la faculté de voir et de faire voir les choses sous des points de vue nouveaux. C’est l’absence du poète comique que nous prenons pour l’absence de la comédie. La comédie n’a jamais été plus possible que de nos jours. Que M. Scribe y songe : la haute muse comique, qui à la vue des excès du vaudeville est blessée au cœur et nous boude avec raison, a tendu la main à l’auteur de la Camaraderie, et le protégerait de préférence à beaucoup d’autres, si, au lieu d’éparpiller ses forces, il s’appliquait à les réunir ; s’il livrait plus souvent de véritables combats, au lieu d’escarmouches sans fin ; s’il donnait à son observation plus d’étendue et