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à de brillantes destinées. Pouvait-on considérer comme sérieux, comme durable, un traité qui laissait incertaine la possession d’un tel territoire ? Si le cabinet avait pu s’en flatter, il devait être détrompé depuis le message du président des États-Unis, depuis surtout les motions de MM. Pendleton et Linn, prises en considération, la première par la chambre des représentans, la seconde par le sénat, et qui ne tendaient à rien moins qu’à occuper par la force les territoires contestés.

Reste la question du droit de visite et de recherche, et sur cette question encore l’opposition pouvait, à quelques égards, reprocher au négociateur tory de s’être mal acquitté de sa mission. Cette question, en effet, est complexe. Il y a d’une part la faculté de visiter à fond tout bâtiment suspect de traite et de le saisir provisoirement, si le soupçon paraît fondé ; il y a le droit de vérifier par une visite sommaire, et en se faisant présenter les papiers de bord, la nationalité de tout bâtiment soupçonné d’arborer un pavillon qui ne lui appartient pas. Quant à la faculté de recherche et de saisie, tout le monde reconnaît qu’elle ne peut s’exercer que par consentement mutuel ; mais il en est autrement du droit de simple visite, que l’Angleterre a toujours réclamé comme étant du droit des gens, que l’Amérique a toujours refusé comme appartenant au droit national. Or, quant au droit de recherche, on avait obtenu peu de chose de l’Amérique, puisqu’elle s’engageait simplement à entretenir une escadre pour réprimer la traite. Quant au droit de visite, on ne décidait rien absolument, et ce dangereux sujet de querelle restait tout entier entre les deux pays. Il y a plus, le traité était si équivoque à cet égard, que les deux parties contractantes avaient pu l’entendre chacune à sa manière et selon son penchant. Ainsi dans son message annuel le président se félicitait que le droit de visite simple fût abandonné par l’Angleterre, tandis que sir Robert Peel le maintenait et déclarait que l’Angleterre n’y renoncerait jamais. Encore une fois qu’est-ce qu’un traité qui donne lieu à de telles interprétations, à de telles contradictions ?

J’ai exposé brièvement les argumens de l’opposition whig contre le traité Ashburton, et je dois convenir que, très faible à mon sens sur le premier point, elle était très forte sur les deux autres. C’est pourtant là que se préparait pour elle la plus rude défaite qu’elle ait eu à subir, une défaite dont lord Palmerston en particulier se souviendra long-temps. Le 21 mars, cet ancien ministre se leva, et, dans un discours de trois heures, discuta avec une rare perspicacité toutes