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WHITE-CHAPEL.

Chapel, en peu de jours chacun de ces tonneaux aurait un locataire, et ceux qui les occuperaient, pour entretenir leur espèce, vivraient comme des oiseaux de proie aux dépens de la société. Que l’on offre de pareilles facilités, et il n’est pas de dégradation à laquelle une partie de l’espèce humaine ne puisse descendre. Refusez toute éducation à ces Diogènes (tub-men), et vous aurez autant de sauvages vivant au sein de la civilisation. Partout où il y a des marais et des eaux stagnantes, il se trouve des reptiles pour les habiter, et le seul moyen de s’en délivrer, c’est de dessécher les marais. »

Toutes les maisons en ruines, tous les bâtimens infects de White-Chapel ne sont pas, comme celui dont parle ici M. Chadwick, abandonnés par leurs propriétaires. Il constate lui-même que cette espèce de propriété est celle qui rapporte le revenu le plus élevé. Les taudis de Rosemary-Lane rendent communément vingt pour cent. Comment les propriétaires s’inquiéteraient-ils, sans y être contraints, de les rendre plus habitables et de les assainir ? Avant l’incendie de 1666, la ville de Londres tout entière était bâtie dans le genre de Rosemary-Lane et de Cartwright-Street ; aussi, tous les douze ans, la peste s’abattait sur cette capitale impure, et enlevait un cinquième ou un quart des habitans. Depuis 1666, les quartiers du West-End sont devenus salubres ; si la réforme sanitaire tarde encore à s’étendre aux mauvais quartiers de l’est, qui pourrait s’empêcher de souhaiter un nouvel incendie ?

Rien ne ressemble moins au mouvement de Londres que celui qui se fait dans les rues de White-Chapel. Dix mille personnes circulent souvent dans le Strand ou dans Piccadilly sans que l’on entende un seul cri ; les hommes passent comme des ombres, les voitures roulent sans confusion et presque sans bruit, les transactions s’opèrent sur des prix cotés à l’avance, on achète et l’on vend sans échanger une parole, les conversations se font à voix basse et par monosyllabes ; dans cette ville lugubre du silence, on ne parle qu’aux yeux. C’est la seule cité en Europe du sein de laquelle aucun murmure de voix ne s’élève, pendant le jour, pour annoncer qu’elle est habitée par des êtres vivans.

À White-Chapel au contraire, sans l’éternel brouillard de ce climat, on pourrait se croire dans quelque ville du midi. Les visages que l’on rencontre n’ont rien d’anglais ; les habitudes sont celles de la rue de Tolède à Naples, du quartier Saint-Jean à Marseille, ou de la rue Mouffetard à Paris. Les Anglais vivent cloîtrés dans leur maison, qui est le château-fort de la vie privée ; mais tout ce peuple de bohémiens vit dans la rue. Des femmes rieuses sont assises sur le pas de leur