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LE ROYAUME-UNI ET LE MINISTÈRE PEEL.

O’Connell n’en jugea pas ainsi, et, dans son indignation vraie ou feinte, il fit décider par l’association que les habitans d’Ahascragh étaient des traîtres et devaient être rayés de la carte de l’Irlande. Heureusement pour la géographie, il consentit à les y rétablir, après que, par l’organe de lord French, ils eurent humblement imploré leur pardon.

On a calculé qu’en prenant pour vrais les chiffres officiels de l’association, près de neuf millions d’Irlandais auraient, en 1843, pris part aux meetings et applaudi O’Connell. Or la population tout entière n’est que de huit millions à peu près. Il y a donc exagération évidente ; mais qu’on réduise les neuf millions à trois, et qu’on dise si ce n’est pas un phénomène bien étrange que celui de telles masses d’hommes réunies, agitées en tout sens, sans qu’il en résulte un désordre ou une violence. Qu’on dise si O’Connell n’a pas raison d’être fier de la puissance qu’il exerce et de l’obéissance qu’il obtient. Comme il arrive toujours, derrière lui d’ailleurs se trouvaient des hommes plus ardens, plus impatiens, et qui ne paraissaient pas craindre au même point une prise d’armes. Je ne parle pas de Tom Steele, si singulièrement nommé « le pacificateur en chef. » Pour un pacificateur, Tom Steele a souvent la parole un peu vive, quand il dit par exemple « qu’il y a en Angleterre une paire de singes qu’on nomme Peel et Wellington, et que ces meurtriers vagabonds ont envoyé lord de Grey pour faire peur à l’Irlande avec ses moustaches graissées. » Mais Tom Steele a pour O’Connell, qu’il appelle tantôt Moïse, tantôt le grand-père, un respect vraiment filial, et il suffit d’une petite réprimande paternelle pour qu’il rentre dans l’ordre. Il n’en est pas tout-à-fait de même de deux journaux nouvellement établis à Dublin, la Nation et le Pilote. Pendant toute la crise, ces deux journaux ne cessèrent de glorifier en vers et en prose l’insurrection de 1798, et de contrarier ainsi la tactique prudente d’O’Connell. Cette tactique prévalut pourtant, et le petit trouble d’Ahascragh reste le seul que l’on puisse citer.

Que faisaient cependant les ultra-protestans et les orangistes ? Dans le nord, ils s’agitaient encore un peu, et tenaient de temps en temps à huis clos quelques meetings dont, comme à l’ordinaire, le papisme faisait tous les frais. Partout ailleurs ils gardaient un silence modeste et qui contrastait avec la violence de leur langage en 1842. Le gouvernement, naguère attaqué par eux avec tant d’amertume, était devenu leur ancre de salut, et lord Roden, un de leurs chefs, les engageait à prouver leur confiance dans le ministère en s’abste-