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LE ROYAUME-UNI ET LE MINISTÈRE PEEL.

Dans un autre pays et avec un autre chef, cet acte décisif du gouvernement eût été, selon toute apparence, le signal d’une sanglante insurrection ; mais il suffisait de connaître O’Connell pour être certain, non qu’elle n’aurait pas lieu, mais qu’il ferait tout au monde pour s’y opposer. Depuis ce moment, O’Connell n’a eu qu’une pensée, prévenir un soulèvement et transporter la lutte sur le terrain légal. Une heure après la proclamation du lord-lieutenant, il en paraissait donc une d’O’Connell qui, tout en la déclarant illégale, ordonnait d’y obéir. Puis, tandis que quelques régimens anglais, soutenus par une imposante artillerie, occupaient les abords de la colline de Clontarf, on voyait les lieutenans d’O’Connell, Tom Steele en tête, courir les chemins une branche d’olivier à la main, et congédier les bandes de paysans irlandais qui, de toutes parts, s’acheminaient vers le lieu du meeting. Dans l’association même où il obtenait facilement un vote de confiance illimitée, O’Connell mesurait son langage, modérait les prétentions, et parlait presque conciliation. Le mot bas, appliqué dans une adresse au gouvernement anglais, était trop vif il fallait le modifier. Puisque le mot saxon blessait des hommes bien intentionnés, il ne demandait pas mieux que d’y renoncer. Surtout, quelle que fût l’issue du procès, pas de désordre, pas de violence, pas de rébellion. On devait se soumettre à tout ce qui avait l’apparence, rien que l’apparence de la légalité. » Et comme de tels conseils n’étaient pas du goût de tout le monde, O’Connell, pour les appuyer, prenait d’étranges engagemens. « Que l’Irlande reste paisible pendant six mois, s’écriait-il, et si alors elle n’obtient pas le rappel, je consens à porter ma tête sur l’échafaud. » Dans cette mesure, d’ailleurs, il était loin de rester inactif. Ainsi il faisait blâmer par la corporation de Dublin, à la majorité de 38 voix contre 9 la proclamation du lord-lieutenant ; ainsi il ouvrait avec pompe la salle des séances du futur parlement irlandais, et y installait l’association. Ainsi, dans un seul jour, il assistait à sept ou huit meetings locaux dans la ville de Dublin, et partout il recueillait les témoignages les plus vifs de l’affection, de la confiance de ses concitoyens. Ainsi il annonçait qu’à la place des meetings monstres il y aurait en Irlande des meetings simultanés dans toutes les paroisses le jour qui serait ultérieurement fixé. On a fait grand bruit en Angleterre et ailleurs de ce changement de ton, et pendant plusieurs jours la presse tory s’est donné le plaisir de mettre en regard les défis orgueilleux du mois d’août et les conseils modestes du mois de novembre. On a demandé à O’Connell ce qu’étaient devenues les femmes qui devaient mettre en fuite l’armée