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DU CARTÉSIANISME ET DE L’ÉCLECTISME.

au sujet des fatigues de l’esprit humain le mot du poète sur la descente d’Orphée aux enfers :

Ibi omnis
Effusus labor
.

En est-il ainsi ? La pensée spéculative s’agite-t-elle dans une impuissance toujours nouvelle et toujours irréparable ? Non, car de la comparaison des systèmes de la philosophie antique avec ceux de la philosophie moderne, il ressort que, si dans l’antiquité l’individualité des penseurs était plus forte, dans les temps modernes les résultats de la pensée sont meilleurs. Les philosophes contemporains du polythéisme eurent à déployer plus de vigueur et d’originalité que les philosophes modernes : l’initiative leur échut en partage. Se figure-t-on quels plaisirs d’intelligence dut goûter Anaxagore lorsque, s’inspirant de ses propres méditations et de certains pressentimens qu’eurent avant lui quelques-uns, il posa nettement ce principe, que l’esprit est la force motrice des choses ! Voilà, au milieu de la pluralité des dieux, l’unité de l’esprit érigée en souveraine maîtresse : à ce culte, Anaxagore convie Périclès, le chef de la république, le poète Euripide, qui a l’audace de mettre dans la bouche de sa muse tragique quelques-uns des secrets de la philosophie, et Archélaüs le physicien, qui, un des premiers en face du monde visible, parla de l’infini. Ainsi la politique, la poésie, la science de la nature, trouvaient leur point d’appui dans une grande et neuve métaphysique.

La rapidité avec laquelle l’esprit grec parcourut toutes les questions philosophiques est merveilleuse. Déjà tout avait été agité quand vinrent Aristote et Platon. Avant eux, d’immenses travaux avaient été accomplis avec cette prompte vigueur qu’a toujours l’humanité dans les époques primesautières. Les opinions de Cratyle et d’Héraclite, les traditions de Pythagore, les enseignemens de Socrate, fournirent à Platon les élémens d’une philosophie qui garda son nom parce qu’il y mit l’empreinte d’une imagination divine. Avec Aristote, la critique domina partout, dans la politique, dans la littérature, dans l’histoire de la philosophie, dans l’étude de la nature, enfin dans la science même des principes constitutifs de l’esprit humain. Avançons encore, et dans Zénon de Cittium, dans son école, dans l’illustre série des stoïques depuis Chrysippe jusqu’à Sénèque, Épictète et Marc-Aurèle, nous trouvons un enseignement encyclopédique où toutes les notions physiques et morales découlent d’un panthéisme idéaliste qui identifiait la vertu et la science. Cependant, quelque