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WHITE-CHAPEL.

celle-ci trouve à peine, en entassant les vivans à côté des vivans et les morts sur les morts, les six pieds d’espace qui sont nécessaires pour un lit et pour un cercueil.

L’aristocratie anglaise a porté bien haut le nom, la puissance et la richesse de la nation. Quelle que fût la source de son droit, l’usurpation ou la confiance du peuple, elle s’est montrée digne de gouverner. Qu’elle reste donc en possession de sa fortune. La propriété foncière lui appartient sans partage ; elle n’a cédé pour un temps le sol nu des villes que pour le recouvrer plus tard chargé de propriétés bâties. Enfin, l’établissement des manufactures, mettant en valeur les terres voisines, a doublé presque partout son revenu. Qu’elle jouisse en paix de ces énormes avantages ; cela se peut encore dans un pays où l’ambition prend rarement la couleur de l’envie. Mais ce n’est pas assez d’avoir fait le pays puissant ; il faut rendre le peuple heureux. Le gouvernement de l’aristocratie est peut-être celui de tous qui s’accommode le moins d’une politique égoïste. Il faut administrer dans l’intérêt des masses pour avoir le droit de les exclure de l’administration. Toute aristocratie est placée dans la société, comme le cœur dans le corps humain, pour y entretenir la circulation du sang et pour y développer la vie. Si elle absorbe la substance sociale, au lieu de la distribuer entre tous les membres, elle devient un objet de scandale et un principe de mort.

À l’heure qu’il est, l’aristocratie anglaise, fatiguée et repue, semble n’avoir plus d’énergie que pour jouir. Son activité s’emploie à convertir l’Angleterre en parcs et en prairies, qu’elle dépeuple d’hommes pour les couvrir de bétail et de gibier. Elle construit des châteaux, ou forme des galeries de tableaux, des bibliothèques, des collections. Elle tourmente ses richesses, selon l’expression du poète latin, jusqu’à ce qu’elle finisse par le suicide ou par l’ennui. Quant aux plébéiens de la Grande-Bretagne, elle en fait deux parts : aux fermiers et aux laboureurs, elle donne, pour les consoler du prolétariat et de la taxe des pauvres, le privilége de vendre leurs grains un peu plus cher, grace à l’exclusion des blés étrangers ; la population urbaine et les ouvriers des manufactures, elle les abandonne à eux-mêmes, comme étant les cliens d’un autre ordre de choses et le produit d’un autre temps.

Sous ce rapport, l’état de Londres exprime au vrai la situation de l’Angleterre. Le contraste qui apparaît entre White-Chapel et les splendeurs du West-End existe partout dans le royaume-uni. Vous le retrouverez à Édimbourg, à Glasgow, à Manchester et à Liverpool.