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gré l’évidente sincérité et l’incontestable profondeur de ses études, ne semble pas toujours s’être assez assimilé les sujets qu’il traite : aussi parfois manque-t-il de cette fermeté lumineuse que donne seule l’égale compréhension du tout. Souvent aussi, s’il veut faire connaître les opinions d’un philosophe ou d’un savant, au lieu de les analyser d’une manière substantielle et rapide, M. Bordas-Demoulin prodigue les citations in extenso, et de cette manière il altère l’unité de sa composition. Puisqu’il a beaucoup vécu avec le XVIIe siècle, M. Demoulin aurait pu apprendre dans Bossuet l’art de ne faire que des citations décisives, habilement coupées, et s’incorporant avec le texte de l’écrivain qui s’en autorise. Il suffit d’ailleurs d’un mot, d’un tour de phrase, pour faire comprendre aux doctes qu’on a puisé à telle source.

En un mot, le livre sur le cartésianisme est un remarquable début dans les sciences philosophiques. Ceux qui le liront avec l’attention qu’il mérite, seront touchés, nous n’en doutons pas, par la vigueur d’esprit de l’écrivain et par l’élévation de son style, qui a quelque chose de traditionnel et de classique. Maintenant, où ira l’auteur ? Restera-t-il un cartésien de l’école de Malebranche ? Dans un court avertissement, M. Bordas-Demoulin fait pressentir qu’il pourrait avoir d’autres travaux à communiquer au public. La critique ne saurait donner une meilleure preuve d’estime à l’auteur qu’en lui conseillant une sévère révision de ses opinions, de ses préjugés, une délibération nouvelle et profonde sur la nature et la portée de ses doctrines philosophiques.

Dans le concours ouvert au sujet du cartésianisme, l’Académie des Sciences morales et politiques a été juste en décernant la moitié du prix à M. Francisque Boullier. Cet honorable professeur à la faculté des lettres de Lyon a su embrasser tous les faits qui se rattachent d’une manière plus ou moins directe à la révolution cartésienne. Il s’est occupé avec soin non-seulement des philosophes illustres, mais des hommes secondaires qui eurent dans leur temps leur mérite et leur emploi. Dans l’époque antérieure à Descartes, M. Boullier n’a pas voulu négliger la mémoire de Bernardino Telesio et de François Patrizzi, ces adversaires si passionnés d’Aristote, le second surtout : avec le même esprit de justice, il a donné une place dans la rénovation cartésienne à des hommes comme Louis de la Forge, Geulinex et Clauberg. Sylvain Regis ne pouvait être oublié, car il est le plus connu des cartésiens du second ordre, et Fontenelle lui a consacré un de ses éloges. M. Boullier est par-dessus tout exact,