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qui lui demandent la vérité, elle la doit entière avec ses horizons infinis et ses inflexibles réalités.

De notables services ont été rendus aux sciences philosophiques par l’éclectisme. L’antiquité remise en honneur, l’histoire de la philosophie embrassée dans toute son étendue, plusieurs des parties de cette histoire exposées avec éloquence et profondeur, la méthode d’observation appliquée avec sagacité, des faits psychologiques érigés en système, sinon sur d’inébranlables fondemens, du moins avec une ingénieuse habileté, voilà des résultats qui assurent à ceux qui ont su les obtenir une place tout-à-fait honorable dans le développement intellectuel de notre époque. Il ne s’agit ici ni de dénigrer ni de flatter personne, mais de dire ce qu’on sent être le vrai. Maintenant le premier regard que nous jetons autour de nous nous avertit que sur beaucoup de points les fondemens de la certitude sont ébranlés. Des notions qu’on avait réputées solides chancellent ; certaines idées s’obscurcissent ; chez beaucoup, la raison doute d’elle-même. Il y a là un mal réel auquel il faut remédier énergiquement. Or les défaillances de l’esprit ne sauraient avoir d’autre médecin que l’esprit lui-même, qui ne peut tirer que de son propre fonds ce qui lui est nécessaire pour sa guérison, sa force et sa grandeur. Si donc dans notre siècle la philosophie a fait quelque chose, il lui reste beaucoup à faire.

Parmi les pensées détachées de Goethe qui n’ont été connues qu’après sa mort, nous trouvons celle-ci : « Il ne peut y avoir de philosophie éclectique, mais seulement des philosophes éclectiques. » Quel est le sens véritable de cette sentence ? Aux yeux de Goethe, l’histoire de l’éclectisme pouvait se résumer dans cette phrase : Tot capita, tot sensus. En effet, comme le propre des éclectiques est de choisir eux-mêmes dans toutes les doctrines ce qui leur convient, il suit qu’un éclectique, en vertu même de son principe, ne saurait s’identifier avec la pensée, avec le choix d’un autre éclectique.

L’écueil de l’éclectisme est celui-ci : c’est la difficulté qu’il éprouve nécessairement pour aboutir au dogmatisme. Nous ne disons point que la difficulté soit insurmontable. Leibnitz et Hegel en ont triomphé jusqu’à un certain point ; mais il est évident que, si le vrai dogmatisme est le résultat simple d’une affirmation primordiale, il doit rencontrer dans les conditions même des tendances éclectiques les plus sérieux obstacles. C’est dans la nature des choses, et il n’y a là de la faute de personne.

Interrogeons l’histoire des idées, nous verrons l’esprit humain