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MOUVEMENT DES PEUPLES SLAVES.

tous les bouts de l’Asie honorer leur maître par de longues lamentations. Tschinguis-Khan fut inhumé sur une montagne, au pied d’un grand arbre isolé. Un jour, à la chasse, il s’était reposé à cette place ; il y passa quelques momens dans une douce rêverie, et dit en se levant qu’il voulait être enterré là. Quel songe de paix avait donc visité le cruel ravageur ?

L’impulsion était donnée ; les fils de Tschinguis-Khan achevèrent en quelques années la conquête de l’Asie et d’une moitié de l’Europe. Leur empire, le plus colossal qui ait existé, s’étendait de la Baltique à l’Océan oriental, et du Kamtschatka au Bengale. Rien ne donne l’idée de la rapidité et de l’étendue de leurs courses. Les khans mongols embrassaient quelquefois une ligne de deux mille lieues dans leurs opérations stratégiques, donnant en même temps à leurs généraux l’ordre d’attaquer le Japon, et de poursuivre le roi de Hongrie sur une île de l’Adriatique. Leur front de bataille balayait une moitié du monde. Quand les Mongols envahissaient un pays, ils pénétraient par plusieurs points à la fois, dévastant méthodiquement les cultures, et faisant main basse sur le peuple des campagnes. Jamais une grande ville, qu’elle eût même ouvert ses portes sur-le-champ, n’était épargnée. Quand du haut des murailles les habitans voyaient s’approcher les cruels cavaliers, c’en était fait d’eux. La ville prise, les Mongols convoquaient la population. Alors se passait une scène d’enfer : à la vue de tous, on torturait les riches, on violait les femmes, puis on les égorgeait avec les vieillards et les enfans. Les hommes valides, traînés devant la place voisine, devaient livrer, jour et nuit, un assaut continuel ; après le siége, on les massacrait. C’étaient là les fêtes des Mongols. Tschinguis-Khan demandait un jour à Bourgoudji, l’un de ses premiers officiers, quel était, selon lui, le plus grand plaisir de l’homme. « C’est, répondit-il, d’aller à la chasse, un jour de printemps, sur un beau cheval, tenant au poing un épervier, et de le voir abattre sa proie. » Les autres généraux furent du même avis. « Non, reprit Tschinguis-Khan, la plus vive jouissance est de vaincre ses ennemis, de les chasser devant soi, de leur ravir ce qu’ils possèdent, de voir les personnes qui leur sont chères le visage baigné de larmes, de monter leurs chevaux, de presser dans ses bras leurs filles et leurs femmes. »

Aussi, quand les Mongols se répandirent sur le monde, ce fut une calamité sans nom. Les peuples attendaient dans la stupeur ; toute force défaillait, les armées se débandaient, les rois s’enfuyaient aux îles de la mer. On se croyait aux désolations des derniers jours, aux victoires de l’antéchrist, aux approches du jugement. Tschinguis-Khan imprima l’épouvante dans l’ame des peuples ; il régna en les faisant trembler, et fonda son empire sur l’universelle terreur. La Russie, déchirée par d’interminables discordes, ne put repousser les Mongols. Pendant deux siècles, ils pesèrent de tout leur poids sur elle. Ils se maintinrent plus long-temps dans d’autres pays ; mais nulle part ils n’ont exercé une aussi durable action. Ailleurs, en Perse, dans l’Inde, à la Chine, ils se laissèrent bien vite amollir par le climat et la civilisation, et,