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troupes qui la combattent des traîtres et des insurgés. La nation entière se promet un empire sans limites. « À quoi bon des alliances ? dit-elle fièrement avec son poète Djerzawine. Nous n’en avons pas besoin. Fais un pas, ô Russe ! un pas encore, et l’univers est à toi. » Ces espérances ne sont pas nées d’aujourd’hui. Les Russes étaient encore cachés dans les forêts de la Moscovie, faibles, humiliés par les Mongols, que déjà ils faisaient un rêve superbe et ne doutaient pas de leur grandeur future. Cette foi est inséparable de l’autocratie. On ne peut croire au tsar sans croire que le monde lui appartient. Aussi les Russes sont-ils à la fois le plus esclave et le plus orgueilleux des peuples.

L’Asie ne leur suffit pas. Le tsar agite les Slaves de l’Autriche et de la Turquie, et s’annonce comme le chef de leur race, le seul qui puisse la conduire à de grandes destinées. Il se donne auprès des chrétiens grecs pour leur pontife et leur défenseur. Par les alliances et mille sourdes menées, il prend partout pied en Allemagne, et toujours avec je ne sais quoi de hautain qui subjugue et devrait avertir. Son influence pénètre plus loin. À Paris même, il a ses cercles dévoués, ses journalistes, ses agens. Tant que l’esprit de l’autocratie animera la Russie, elle ne voudra jamais s’arrêter ; elle sera entraînée à tout envahir, et méditera, quoi qu’elle dise, la guerre contre le reste du monde. Cette politique agressive est d’autant plus redoutable, qu’elle a, pour servir un dessein arrêté depuis des siècles, l’élan national, la force militaire, un impénétrable secret, et la plus habile diplomatie. Elle est patiente parce qu’elle se sent forte, perfide, car elle ne prend au sérieux la légitimité d’aucune puissance, altière, astucieuse, persévérante, insatiable. Rome autrefois fut ainsi l’ennemie de tous les peuples ; elle leur ravit la liberté, et dès son humble origine se crut appelée à les dominer.

III. — LA POLOGNE.

La Russie s’est formée à l’école des Mongols ; la Bohême a imité l’Allemagne ; la Pologne, au centre des états slaves, était plus à l’abri des influences étrangères ; seule, parmi eux, elle est demeurée fidèle au génie national.

La Pologne devint une démocratie nobiliaire. La langue ici nous trahit. Le français n’a pas de mot pour désigner cet ordre équestre qui formait la république. Noblesse éveille une idée fausse : il n’y eut en Pologne rien de pareil à la féodalité, ni droit d’aînesse, ni hiérarchie. Les Lèques prirent pour eux les redevances que les Slaves payaient à leurs miliciens, et se chargèrent en retour de défendre le pays. Ils devinrent chefs militaires et civils de la commune ; ils en furent les gérans et plus tard les possesseurs. Dans l’origine, les paysans étaient assujétis à des corvées sans être serfs, et vivaient familièrement avec leurs seigneurs. Les Lèques se mêlèrent aux Slaves et adoptèrent leurs coutumes. L’ordre équestre s’organisa comme la commune primitive : seulement la patrie remplaça pour lui la sloboda. Il réserva d’abord, sous le nom de starosties, une partie du territoire, le quart de la Po-