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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

hautaine et les vues systématiques de la nouvelle école de Hegel. Ces qualités et ces défauts devaient plaire aux Annales de Halle. M. Gervinus, qui ne jugeait les œuvres de la pensée et de l’imagination qu’au point de vue politique et selon leur utilité immédiate était un allié naturel de la jeune école philosophique, si empressée aussi à proscrire l’idéal. Malgré ce grand défaut qui m’a toujours gâté son travail, l’histoire littéraire de M. Gervinus est une œuvre importante, et je ne m’étonne pas du succès qui l’a accueillie dans son pays. Les Annales de Halle, profitant de cette double publication, n’eurent pas de peine à accabler M. Laube, à montrer les fréquentes erreurs de son livre, et combien l’auteur avait peu compris ce dont il parlait. Il y eut une série d’articles, d’une vivacité singulière, qui s’adressaient non pas seulement à M. Laube, mais à tous ses amis. M. Laube avait parlé fort longuement de la philosophie de Hegel ; il n’avait été si long peut-être que parce qu’il avait essayé de comprendre ce qu’il écrivait, et les Annales de Halle, qui étaient là sur leur terrain véritable, s’amusèrent beaucoup de ses contre-sens. Ces articles et d’autres encore, écrits avec une verve irritée et d’une plume mordante qui emportait la pièce, firent plus de mal aux écrivains de la jeune Allemagne que les défiances et les poursuites du pouvoir. Désormais il fut interdit à ces romanciers frivoles de s’occuper de questions politiques. Ils essayèrent bien encore de revenir à leurs premières espérances : M. Gutzkow, M. Laube, M. Mundt, écrivaient en 1840 contre Goerres, à l’occasion de la Prusse et de l’archevêque de Cologne, M. Gutzkow publia une vie de Louis Boerne ; mais ce furent leurs dernières tentatives pour ressaisir une influence qu’ils avaient perdue par tant de fautes.

C’est peut-être un bonheur pour eux d’avoir été renvoyés à la pure littérature. Il n’est pas impossible qu’il y ait là pour eux une excellente leçon de goût, une bonne discipline littéraire. Le roman, depuis quelques années, est entré dans une voie meilleure. S’il renonce à son arrogance, à ses faux systèmes, il aura peut-être toute l’influence à laquelle il ne prétendra pas. En voulant peindre seulement la réalité, il ira plus sûrement au but que se proposait M. Wienbarg et donnera aux lettres une vie que les systèmes et les prétentions détruisent toujours. Une école de romanciers plus jeunes commence à se faire heureusement connaître. On cite au premier rang. M. L. Schücking, M. Berthold Auerbach. Les systèmes socialistes avaient jeté le talent dans des voies funestes ; l’inspiration, le naturel, étaient étouffés par les prétentions factices. Aujourd’hui, on revient à la nature ; quelque chose de frais, de gracieux, commence à refleurir après ce long hiver ;