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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

démiques qui depuis la mort de Hegel ont éclaté dans son école n’ont été si passionnées que parce que le journal de M. Arnold Ruge avait nettement séparé les camps et poussé au combat ce qu’on a appelé le côté gauche dans l’école hégélienne. Or, c’est là que commencent les fautes de M. Ruge et de ses collaborateurs. Était-il prudent d’abandonner la polémique générale qu’il avait entreprise d’abord, pour s’enfermer dans un système, et dans le plus étroit de tous les systèmes, dans les doctrines exclusives de cette gauche hautaine ? M. Ruge était bien fort lorsqu’il demandait à la philosophie, à la poésie, à toutes les œuvres de la pensée, de sortir des nuages, de substituer une science active, vivante, aux sciences mortes d’une scholastique renouvelée ; mais quoi ! abandonner ce terrain si sûr, abandonner cette critique utile et bienfaisante pour ne plus défendre qu’une seule chose, la doctrine de l’extrême gauche hégélienne, c’est-à-dire le panthéisme dans sa plus effrayante audace, dans sa plus triste nudité ! Voilà l’origine de la double erreur qui a perdu les Annale de Halle : d’abord en s’appuyant sur les principes extrêmes de M. Bruno Bauer et de M. Feuerbach, en se servant d’un système de métaphysique, et de quel système, grand Dieu ! pour transformer l’esprit public, les écrivains de ce recueil étaient ramenés eux-mêmes à ces barbaries scholastiques qu’ils avaient voulu combattre ; et puis, comme les folles théories substituées par eux à leur première polémique les isolaient davantage encore, cet isolement ne devait-il pas les frapper de vertige et les pousser à ces fureurs qui ont décrédité leur plume ?

M. Arnold Ruge vient de publier, sous le titre d’Anecdota, une série d’articles destinés aux Annales de Halle ou aux Annales allemandes, et qui furent supprimés par la censure. Ces articles sont signés des noms que j’ai cités plus haut, MM. Bruno Bauer, Rauwerck, Feuerbach, Ruge, etc., et ne forment pas moins de deux volumes. On peut voir là très clairement dans quelle fausse route est entré M. Arnold Ruge. Qu’il y a loin de ces pages à celles dont je parlais tout à l’heure, à ces vives et franches études sur les universités ! Est-ce un écrivain du XVe siècle qui a fait ces lourdes dissertations ? Est-ce un théologien de Cologne, un de ceux que Ulric de Hutten a si vigoureusement raillés ? Oui, ces discussions théologiques sont justiciables de la plume joyeuse qui a écrit les Epistolæ obscurorum virorum. M. Bruno Bauer, professeur de théologie à l’université de Bonn, est expulsé de sa chaire pour un livre où il détruit précisément ce qu’il est chargé d’enseigner. On peut regretter sans doute cette mesure rigoureuse, bien que la faculté de théologie ait été consultée et qu’une majorité considérable