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DE LA LITTÉRATURE POLITIQUE EN ALLEMAGNE.

décision toute française, et il a gagné la bataille. C’est cette fermeté de la pensée, cette sûreté de la plume qui a manqué aux écrivains allemands. L’esprit libre qui veut, et avec raison, renouveler la vieille Germanie a été battu après un double engagement ; il a perdu la plus belle des occasions, il a compromis la plus heureuse et la plus désirable des épreuves.

Oui, c’était là une occasion éclatante, car ces désirs nouveaux sont légitimes, on n’en peut plus douter, ils se déclarent partout en Allemagne. Un livre paru il y a quelques mois, et qui a vivement ému les esprits, confirme cette opinion. C’est un ouvrage bizarre, une divagation folle, poétique, due à la femme extraordinaire dont le nom est populaire au-delà du Rhin, à Mme Bettina d’Arnim. Bettina, cette ame mystique, cette intelligence passionnée, cette singulière et charmante personne à qui l’on a permis toutes les folies, tous les délires de l’imagination, Bettina dont le nom ne peut se séparer du nom de Goethe, et qui, à seize ans, aimait le vieux poète avec l’adoration aveugle du croyant agenouillé devant son dieu, Bettina qui n’était point de ce monde, qui habitait le pays des fées, la fille des rêves enfin, la fille capricieuse des régions impossibles, oui, Bettina elle-même vient de publier deux volumes sur la politique. Elle divaguait hier avec la nature entière, avec le chevreau qui broute, avec l’étoile du ciel, avec la rose qui s’épanouit ; elle répandait son ame dans un naïf et innocent panthéisme, sans souci de nos tristes discussions ; aujourd’hui, elle discute tout, la métaphysique, l’église, l’état. Que va-t-elle dire ? Si hardie, si impétueuse, pourra-t-elle s’arrêter ? ne va-t-elle pas rencontrer sur son chemin le censeur inévitable ? Ne craignez rien : l’habile fée a dérouté la censure, et de son pied fin et léger, traversant rapidement la salle redoutable, elle porte son livre, à qui ? au roi lui-même. Ce livre appartient au roi, voilà le titre de son œuvre. Maintenant, comment la censure y toucherait-elle ? et, de cette main si poétique, comment le roi de Prusse n’accepterait-il pas le don qui lui est fait ?

Mme d’Arnim a toujours aimé à mettre ses pensées sous la protection des souvenirs de sa jeunesse. Tantôt c’est sa correspondance avec Goethe, tantôt ce sont ses lettres à la célèbre Mlle de Gunderode, qui lui sont une occasion de publier bien des idées nouvelles, protégées par ce stratagème de l’écrivain. Nous retrouvons ici la même ruse littéraire. Ces discussions hardies, Mme d’Arnim ne se les attribue pas ; elle les reporte au temps de sa curieuse et ardente enfance, au temps de son amitié avec Goethe. Nous sommes à Francfort, en 1807, et