Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1051

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1047
MANCHESTER.

avait donné la pensée. Quoi de plus juste que d’importer la filature au cœur de l’Écosse, quand on lui empruntait, avec la vapeur, le moyen d’utiliser ces forces latentes que le sol de l’Angleterre recélait ?

Au reste l’impopularité d’Arkwright n’était pas seulement celle qui s’attache aux débuts de tout inventeur. Les gens du Lancashire détestaient en lui l’excès des qualités et des défauts qu’ils apportaient eux-mêmes dans le monde industriel. Arkwright était le type le plus complet, le plus absolu, le plus vrai de cette race de parvenus qui joint une activité sans repos à une ambition sans bornes. Voilà ce qui le rendait pour les manufacturiers, ses concurrens et ses compatriotes, une sorte d’ennemi public.

« Les traits les plus marqués du caractère d’Arkwright, dit M. Baines, étaient une ardeur, une énergie et une persévérance étonnantes. Il travaillait ordinairement à la direction de ses nombreuses entreprises depuis cinq heures du matin jusqu’à neuf heures du soir, il avait déjà plus de cinquante ans lorsqu’il s’aperçut que le défaut d’éducation devenait pour lui un grand obstacle dans la gestion de ses affaires et dans sa correspondance en particulier. Il prit aussitôt une heure sur son sommeil pour apprendre les règles de la grammaire anglaise, et une autre heure pour se perfectionner dans l’écriture ainsi que dans l’orthographe. Il supportait impatiemment tout ce qui venait l’arrêter dans la poursuite de ses desseins, et, ce qui le prouve d’une manière bien caractéristique, il se sépara de sa femme, après quelques années de mariage, parce que celle-ci, craignant qu’il ne réduisît sa famille à mendier en travaillant à ses combinaisons au lieu de raser ses pratiques, avait détruit les modèles des machines qui servaient à ses expériences. Arkwright économisait strictement le temps. Pour ne pas perdre un instant, il voyageait avec la plus grande vitesse dans une voiture à quatre chevaux. Le nombre et l’importance des établissemens qu’il avait entrepris dans les comtés de Derby, de Lancastre et de Lanark, montraient l’aptitude merveilleuse qu’il avait pour les affaires, ainsi que l’étendue d’un esprit qui embrassait tout. Dans la plupart de ces entreprises, il avait des associés ; mais il s’arrangeait toujours de manière à gagner encore lorsque ceux-ci perdaient. Telle était sa confiance illimitée dans le succès de ses machines, ainsi que dans la richesse qui devait en résulter pour l’Angleterre, qu’il attachait peu d’importance à toute discussion sur les taxes, et avait coutume de dire qu’il paierait la dette du pays. Les plans d’un pareil spéculateur devaient êtres vastes et hardis ; il se proposait d’entrer dans les opérations commerciales les plus étendues, et il ne rêvait rien moins que d’acheter