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MANCHESTER.

un seul est consacré aux récréations des habitans ; les autres appartiennent à la religion, à la charité, à la science ou aux affaires… La bourse de Manchester est le parlement des lords du coton, c’est leur assemblée législative, une assemblée qui promulgue des décrets aussi immuables que ceux des Mèdes et des Perses, mais dans laquelle, au rebours de tous les parlemens du monde, on fait beaucoup et l’on parle très peu. Des transactions d’une immense importance s’opèrent par des signes de tête, des clignemens d’yeux ou des mouvemens d’épaules, en comparaison desquels le laconisme des anciens Spartiates pourrait passer pour un bavardage insipide et puéril. On se souvient vaguement, et comme de bien loin, d’avoir vu un jour un homme causer à la bourse ; mais on en fait mention dans les termes dont on se servirait pour raconter que la sarabande a été dansée dans l’église de Saint-Pierre, ou qu’Arlequin a fait ses farces dans l’enceinte vénérable de Old Bailey.

« Ce qui caractérise l’assemblée, c’est le talent et l’intelligence appliqués aux grandes spéculations de l’industrie ; on n’y rencontre pas plus le génie que la stupidité. Mais si le niveau intellectuel n’est pas très élevé, il paraît très évident qu’aucune faculté ne demeure sans emploi. Il m’est arrivé de visiter Manchester à une époque de prospérité et d’activité commerciales ; plus récemment je l’ai vu pendant la période de détresse et de stagnation. Dans la première de ces circonstances, un étranger aurait pu se croire jeté au milieu d’une de ces communautés de derviches dansans qui ont pour règle le silence et le mouvement perpétuel. Il semblait que chacun fût incapable de rester plus de trois secondes à la même place. Tout homme de Manchester a pour principe que « rien n’est fait tant qu’il reste quelque chose à faire. » Donnez-lui une occasion, et il entreprendra de pourvoir tous les marchés entre Lima et Pékin, et il sera horriblement vexé, si, par quelque distraction, il a omis un petit village qui aurait pu acheter un écheveau de ses fils ou une aune (yard) de ses tissus.

« L’aspect de la bourse, dans cette période de détresse, est vraiment effrayant. La contenance des habitués est sombre et inquiète ; l’ardeur des esprits s’est changée en obstination. Les manufacturiers paraissent sentir que les bénéfices, sinon les capitaux, leur glissent dans les mains, et ils ont pris la détermination bien arrêtée de supporter une certaine somme de pertes, mais de ne pas se laisser entraîner au-delà. Que les affaires soient actives ou lourdes, la bourse ne dure guère plus d’une heure. Dès que l’horloge sonne deux heures après midi, l’assemblée s’écoule insensiblement et sans bruit ; avant