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MANCHESTER.

Stuarts contre les préjugés religieux de la Grande-Bretagne, qui devint ainsi la bigote Angleterre, de la joyeuse Angleterre (merry England) qu’elle était. Lord John Manners avance, dans une brochure récente[1], que George Ier eut la pensée de restaurer les jeux et les fêtes populaires ; mais le pli était déjà pris, et que pouvaient les intentions individuelles d’un seul homme, même lorsque cet homme était le roi, contre l’esprit de secte qui s’était incorporé aux mœurs du pays ?

Dans les comtés manufacturiers la population laborieuse est exposée à des crises périodiques qui suspendent le travail, qui affament les familles, qui produisent en un mot les mêmes effets qu’une mauvaise récolte dans les districts ruraux. Sans parler d’ailleurs de cette détresse accidentelle, il y a dans les grandes villes industrielles un fonds de misère qui s’accroît d’année en année. Malgré l’élévation des salaires et la régularité du travail, Manchester se paupérise en vieillissant. En 1833, et avant la réforme de la législation qui régit les secours publics, le nombre des pauvres avait doublé à Manchester en quatre années[2], et les dépenses s’étaient élevées de 48,977 liv. sterl. à 53,799. La loi des pauvres, promulguée en 1834, en apportant une plus grande sévérité dans l’administration de la charité publique, réduisit le budget à 27,645 liv. sterl. ; mais l’accroissement ne tarda pas à se manifester de nouveau : les sommes dépensées en 1841 ont excédé de 40,000 liv. sterl. ou 1 million de fr. En juillet 1843, j’ai trouvé dans la maison de charité plus de 1,200 habitans ; on sait qu’outre ce dépôt, Manchester comprend deux autres unions, celles de Chorlton et de Salford.

Le trait distinctif de la misère à Manchester, ce qui assimile peut-être cette population à celle de Paris, c’est la facilité avec laquelle les ouvriers se déterminent, quand la maladie les frappe, à entrer dans les hôpitaux. En 1831, 27,804 malades avaient été traités dans les infirmeries publiques[3] ; en 1840, le nombre des patiens fut de 42,964, ce qui représente un sixième de la population. À Paris, la moitié de la population va mourir dans les hôpitaux ou dans les hospices ; à Manchester, c’est là que naissent plus de la moitié des enfans[4] ; naître ou mourir hors de la famille et sous les auspices des institutions charitables, voilà deux faits qui accusent également l’état social.

Cette pauvreté extrême dans laquelle vivent tant d’ouvriers tient à

  1. A Plea for national holidays.
  2. Moral and physical Condition of working classes, by Dr Kay.
  3. Remarks on the health of english manufacturers, by J. Roberton.
  4. La moyenne des naissances dans les hospices de maternité à Manchester était de 4,300 pour chacune des quatre années 1828, 1829, 1830, 1831.