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nous apprenons, entre autres, que l’homme, lorsqu’il n’est encore que point salin, éprouve tous les appétits blâmables qui le font plus tard pécher contre le sixième commandement ; qu’il veut déjà, le don Juan qu’il est, se réharmoniser, et qu’il cherche le sexe, son complément. Si M. Bautain parle ici d’après sa propre expérience, il faut lui rendre cette justice, qu’il se souvient de loin, et de plus loin que saint Augustin, qui ne se rappelait pas même sa nourrice. Après avoir été point salin, l’être devient homme ou femme, et M. Bautain, fidèle au procédé néo-catholique, s’arrête complaisamment à ce qui concerne la femme, — laquelle est spécialement femme dans l’ame par la force centrale et attractive, dans le corps par la prédominance des fonctions attractives et d’assimilation, par l’excès du mouvement centripète sur le mouvement centrifuge ». Quant à l’homme, qui sent moins centralement, il vit dans son ame, dans son esprit et dans son corps, en subjectivant l’objectif, et en objectivant le subjectif, et, quand il est tout-à-fait à l’état d’individu humain, il éprouve plus vivement l’appétit du sexe, son complément. » Alors le multiplicande cherche le multiplicateur, l’actif cherche le passif… le conclusif, c’est-à-dire que l’homme veut se marier. Il se marie donc, puis il vieillit, puis il meurt. Et qu’est-ce que la mort ? « C’est en général le brisement du rapport entre un foyer et une forme subjective et particulière et un foyer et une forme objective et générale ; c’est la cessation de la réaction de celui-ci sur celui-là, c’est une extinction de l’action vitale. ». « En d’autres termes, l’homme meurt quand il cesse de vivre, c’est ce que nous avait appris depuis long-temps l’élégiaque destinée de M. de La Palisse.

Dans le dogmatisme, on le voit, les philosophes qui sont d’église ne sont guère plus heureux que les mondains, peut-être sont-ils moins orthodoxes encore. Aucune doctrine vraiment scientifique n’est sortie de ce mouvement, et dans la polémique ou plutôt dans la controverse, c’est la même stérilité ; toute la lutte aujourd’hui se résume dans une seule question : le panthéisme. Mais cette lutte est-elle toujours sincère ? Au moyen-âge, dans les combats intellectuels, l’église était grande surtout par sa bonne foi. Aujourd’hui, quand on attaque les libres penseurs, sous prétexte de sauver la religion, on commence souvent par leur prêter des doctrines qui ne sont pas, qui n’ont jamais été leurs doctrines, et qu’ils réprouvent hautement. Qu’on s’en prenne à M. Cousin, par exemple, qui est devenu comme un point de mire, par cela seul qu’il est le plus illustre représentant de l’école française du XIXe siècle. L’accusera-t-on d’être matérialiste, impie ? Non, car chacun pourrait vérifier et s’assurer par ses yeux et son bon sens que l’accusation est fausse. Ses adversaires eux-mêmes, quand ils sont de bonne foi, témoin M. Maret, l’historien du panthéisme, conviennent que sa part est grande dans la réaction spiritualiste de notre temps ; ils conviennent « qu’on ne peut refuser au développement nouveau qu’il a imprimé à la pensée de l’éclat et de la grandeur, comme on ne peut lui refuser à lui-même la puissance du talent et la droiture des intentions. » Comment se fait-il donc qu’on nous dise et qu’on