Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
140
REVUE DES DEUX MONDES.

de M. Bazin est celle du critique latin : Scribitur ad narrandum. C’est à l’histoire qu’il a demandé la certitude, et quand il la tient par les faits, il ne court pas après le commentaire doctoral : les conséquences qui découlent des prémisses le dispensent d’un retour prophétique sur l’évènement accompli ; mais, en démonstrateur habile, il ne fait pas grace des corollaires, car il aime les détails, et il lui faut toute la prudence et toute la finesse de sa méthode pour ne pas s’égarer dans les innombrables accessoires qu’il lui a plu de rattacher au récit principal. Esclave de la chronologie, il marche avec le temps, et sans vouloir d’autre guide ; il ne sacrifie pas un épisode à un autre, quitte à revenir après, avec ou sans transition : plus sage en cela que tels ou tels écrivains que l’on pourrait citer qui se passionnent pour une période ou pour un homme, et laissent là tous les autres sans avoir égard aux proportions. Le voilà donc cheminant, d’un pas tranquille et régulier, à travers tout ce bizarre dédale d’agitations impuissantes, de pauvres intérêts et d’intrigues échevelées. Il excelle à démêler la trame compliquée des manœuvres de cour, à décrire les incessantes menées du parlement, les doléances du peuple, les griefs ecclésiastiques du mondain coadjuteur qui tourne au jansénisme par amour du nouveau ou par esprit de corps, l’attitude des petits-maîtres, cette autre phalange d’importans que dirige le jeune duc d’Enghien enorgueilli de ses triomphes militaires, les projets d’avenir que forme Mazarin, près d’appeler en France cette brillante armée de neveux et de nièces dont il entourera plus tard le trône de son royal pupille. Il dévoile avec une clarté extrême et un rare talent d’observation tous les secrets de la tactique du parlement ; il explique à merveille tout le manége légal des gens du roi et des conseillers-juges ; il donne des renseignemens curieux sur leur éloquence judiciaire, sur leur érudition pédantesque, sur le vain libéralisme de leurs paroles. M. Bazin a constaté, et avec pleine raison, le peu de portée du langage violent qu’autorisait alors l’usage du palais. Sa sécurité historique n’est pas de celles que peuvent ébranler quelques déclamations orales ; puisée dans le dédain des mobiles, des acteurs et des situations, elle résiste même aux actes les plus significatifs ; elle n’est troublée qu’un moment, le jour où le parlement, la chambre de comptes, la cour des aides et le grand-conseil s’unissent dans le but de réformer l’état, et créent l’assemblée de la chambre de Saint-Louis. Alors l’historien s’écrie : « Quelle que fût sur les suites possibles de cette installation la pensée de ceux qui l’avaient conquise et du gouvernement qui la subissait, il est certain que la France venait de voir se former un corps politique, lequel, étant sans fonction réglée, sans autorité définie, et partant limitée, pouvait dès-lors tout ce qu’il oserait. »

Mais, dès qu’il arrive à l’examen des résolutions délibérées dans la chambre de Saint-Louis, M. Bazin se rassure, et désormais sa confiance ne fléchira plus. À notre époque, le mot de réformation de l’état prononcé au sein d’une assemblée qui se serait constituée en dehors de l’initiative et du consentement du pouvoir, aurait un sens redoutable, et la constitution tremblerait sur sa base. Au temps de la fronde, il voulait tout simplement dire, selon l’auteur