Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
CRITIQUE HISTORIQUE.

Telle n’est pas la méthode de M. Bazin, écrivain positif, qui ne se pique pas d’être moraliste, et qui proclame implicitement en histoire la domination exclusive du fait.

Considérée sous le point de vue de la forme, l’œuvre de M. Bazin se développe en général avec une régularité extrême, dans un style simple, élégant et facile, mais dont l’aspect se ressent quelque peu de la lecture des mémoires du temps. Une critique méticuleuse ferait observer qu’il y règne une certaine monotonie dans l’exécution, que la phrase, sèche, pointillée, visant au trait sous un faux air de bonhomie, a peu d’ampleur et de grace, que cette narration limpide ne présente pas d’arêtes saillantes où puisse se remettre en haleine l’esprit fatigué du lecteur, qu’elle laisse parfois désirer un peu plus d’animation et de vigueur. M. Bazin, nous l’avons dit, est un écrivain sceptique et railleur, qui montre fort peu d’inclination pour les évènemens de la fronde, et qui, sauf une exception relative au cardinal de Retz, pèche habituellement, si l’on peut s’exprimer ainsi, par l’abus de l’impartialité. Il dit, en terminant le récit de la première guerre de Paris : « Quoiqu’il y ait, de la part d’un historien, un excès de désintéressement fort voisin de la duperie à diminuer l’importance et l’éclat des faits qu’il raconte, il faut bien, quand on cherche la vérité, la prendre avec toutes ses charges, pâle et mesquine, sans mouvement et sans énergie, là où il n’est pas possible de la voir autrement. » N’est-ce pas s’exposer gratuitement à l’accusation de minutie, pour s’être appesanti avec trop de complaisance sur des incidens qui, dans cette hypothèse, n’offriraient qu’un fort mince intérêt à l’histoire ? Et, en effet, l’auteur est un homme consciencieux qui ne veut rien laisser dans l’ombre et qui, dans son désir de tout expliquer, exagère volontiers le soin du détail. Lorsqu’on a lu son ouvrage, on se trouve avoir acquis une connaissance à peu près parfaite des actes de l’époque, car il n’oublie rien, pas même les hors-d’œuvre, tels que l’origine et les progrès du jansénisme, le romanesque drame de la révolution de Naples sous les inspirations de Masaniello, l’importation en France de l’opéra italien, etc. Cependant tout n’est pas dit en histoire lorsqu’on en a fini avec le récit des causes et des effets, et après les évènemens, ou plutôt à côté d’eux, les hommes s’offrent tout naturellement à la double appréciation du conteur qui les fait agir et du critique qui juge le conteur. Dans la fronde, les personnages abondent, personnages collectifs et individuels, et M. Bazin a eu beau jeu, surtout avec les premiers. Rien de plus vrai, de plus substantiel, de plus complet que ses épisodes parlementaires dessinés avec une rare intelligence des lieux, des habitudes, des physionomies ; il s’est représenté le parlement de Paris comme le foyer des résistances, le grand meneur de l’opinion, le plus énergique appui de la fronde, et, à ce titre, il a consacré au compte-rendu de ses séances les meilleures qualités de son style et les plus exquises finesses de son observation patiente. C’est là qu’il faut étudier cette étrange assemblée ; c’est avec lui qu’il convient de pénétrer dans l’intérieur de la grand’chambre, lorsque les vieux conseillers, majestueusement assis sur leurs chaises curules, tempèrent par la dignité de leur silence