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Comique doit ses plus aimables chefs-d’œuvre, M. Thomas possède à part lui de très ingénieuses ressources de style, des artifices d’instrumentation d’une délicatesse extrême ; et quand le motif lui fait défaut, il y supplée par des semblans d’idée qui ne sont point sans grace. La collaboration heureuse qui a valu déjà au théâtre Favart un de ses plus jolis opéras en un acte : la Double échelle, devait réussir encore cette fois. Malheureusement, le succès n’a point eu cette notoriété que le mérite réel de l’ouvrage aurait fait supposer, et je crois qu’il faut s’en prendre à la pièce, très agréable au fond et très habilement traitée, mais dont le sujet convenait peu à la musique. En effet, les airs et les duos se montrent là sans grande nécessité, comme ils se montreraient dans la première comédie venue de Dancourt ou de Sedaine ; rien ne les exclut, je le veux bien, mais aussi rien ne les commande ou les motive ; ces choses qu’on se serait dites si naturellement, pourquoi donc prendre la peine de se les chanter ? M. Planard regrettera de ne point avoir fait une comédie de son idée, je le répète, fort ingénieusement mise en œuvre, et (singulière rencontre à l’Opéra-Comique) où le grain de fantaisie ne manque pas. — Nous ne parlerons que pour mémoire d’un petit acte assez médiocre de M. de Flotow : l’Esclave du Camoëns. Avant de se produire au théâtre, M. de Flotow possédait déjà quelque renommée dans le monde, renommée acquise sous le patronage de M. le marquis de Belissen, dont il était en quelque sorte le maëstro lauréat ; les ombrages du parc de Royaumont gardent encore le souvenir d’un certain duc de Guise, qui fut célèbre jusqu’au jour de l’imprudente représentation qu’on en donna au théâtre Ventadour. Pourquoi, lorsqu’on est assez heureux pour rencontrer quelque part des cœurs qui s’enthousiasment à vos mélodies, ne point savoir se contenter d’un pareil hommage ? Le succès est une si douce chose, même dans un cercle d’amis ! hélas ! que de réputations musicales n’avons-nous pas vues échouer tristement au théâtre, qui s’étaient ainsi faites à la campagne, dans une serre chaude paternellement disposée en salle de spectacle ! La musique de M. de Flotow ressemble à la poésie de M. de Rességuier, poésie et musique charmantes, pourvu qu’elles vivent dans l’atmosphère qui leur convient, au milieu d’une petite cour de gens du monde :

Foule choisie
Qui s’ectasie
De poésie
Et de beaux-arts !

mais dont la publicité met soudain en cendres les ailes de papillon !


H. W.