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REVUE. — CHRONIQUE.

offre à la spéculation des chances très favorables. Ce qui est certain pour nous, c’est que si le système de la loi de 1842 était abandonné, et que l’état prît à sa charge, en tout ou en partie, l’exploitation des nouvelles routes de fer, les prévisions de notre budget, ou à mieux dire, de nos budgets, se trouveraient profondément altérées. Le capital qu’on s’était proposé de demander à l’industrie privée devrait sortir, soit en totalité, soit en partie, selon le système qu’on adopterait, des coffres du trésor. Seulement il est évident qu’à moins de retarder indéfiniment l’accomplissement des travaux et l’exploitation des nouvelles communications, il faudrait demander aux particuliers, par voie d’emprunt, les capitaux que la loi en vigueur leur demande d’avancer comme concessionnaires et fermiers de l’état.

En disant aux chambres que la paix n’a jamais été plus assurée et que les relations de la France avec toutes les puissances sont pacifiques et amicales, certes la couronne n’énonçait rien d’inattendu et ne dissipait aucun doute ; le doute n’existait pas. Il n’est pas d’homme sensé qui aperçoive dans ce moment le moindre signe de trouble et de guerre à l’horizon politique. La phrase a été accueillie avec des murmures approbateurs, non parce qu’elle apprenait quelque chose d’inespéré, mais parce qu’elle réveillait dans l’esprit des auditeurs une pensée politique de la plus haute importance, qu’elle faisait allusion à un fait essentiel pour la paix et pour les libertés du monde civilisé, à la bonne intelligence qui règne entre les deux grands états constitutionnels de l’Europe, l’Angleterre et la France. La pensée générale libre dans ses allures, dégagée de toute délicatesse diplomatique, complétait d’avance la phrase de la couronne par l’allusion que le discours ne pouvait faire avec convenance que dans un paragraphe suivant, incidemment, en parlant des affaires de la Grèce et de l’Espagne. La paix du monde ne peut être sérieusement compromise que lorsque la France et l’Angleterre se trouvent dans deux camps opposées. Unies, elles préviennent toutes les folies ; tout mauvais vouloir est condamné à l’impuissance. Séparées, la paix serait encore possible, mais elle n’aurait plus de garanties. Des prévisions plus ou moins alarmantes succèderaient partout à la confiance générale. Le commerce perdrait de sa hardiesse, l’industrie n’oserait plus se livrer aux entreprises de longue haleine, et les gouvernemens eux-mêmes, tout en proclamant la paix, ne pourraient pas sans imprudence ne pas se préparer à la guerre. Telles sont les pensées que le discours réveillait indirectement, et ces pensées sont les pensées de tout le monde. Ceux-là même qui ne sont nullement disposés à oublier le vieil antagonisme de l’Angleterre et de la France, ceux-là même qui, par sympathie, par sentiment, préféreraient d’autres alliances à l’alliance anglaise, ne peuvent pas ne pas reconnaître que la paix générale n’est garantie que par cette alliance ; tout le monde sait qu’en brisant cette alliance par la convention du 15 juillet, lord Palmerston avait fait bon marché de la paix du monde.

Rien de plus naturel que la vive sollicitude de notre gouvernement à l’en-