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LA CONTREFAÇON BELGE.

en possession de tous ses avantages au moment où l’excitation produite par les évènemens de 1830 allait accélérer le mouvement imprimé à tous les esprits depuis la chute de l’empire. Pendant les cinq années qui ont suivi l’établissement du nouveau régime, la littérature française a été merveilleusement féconde et recherchée par toute l’Europe. Cette impétuosité de production ne pouvait durer, pour des causes que nous croyons superflu de déduire ici, de même que nous nous abstiendrons de juger la valeur des ouvrages dont la vogue alimentait les profits de la contrefaçon ; mais elle eut une influence décisive sur les destinées de la librairie belge. Celle-ci, dont les ateliers étaient formés, la clientelle assurée, les débouchés ouverts, put se placer entre les écrivains français et leur monde de lecteurs européens, et nous savons qu’à cette époque les principaux contrefacteurs de Bruxelles réalisèrent d’assez beaux bénéfices. C’est alors que leurs maisons acquirent une véritable valeur commerciale, et qu’on vit paraître les ouvrages des auteurs français sur des marchés où n’avait jamais pénétré la librairie parisienne. L’appât était trop puissant pour que les cris de détresse poussés dès-lors par celle-ci pussent arrêter la contrefaçon dans sa marche envahissante. Le commerce n’a que trop généralement la poitrine cuirassée de cet æs triplex dont parle Horace ; à plus forte raison, quand il se livre à des opérations d’une moralité douteuse. Assaillis d’injures, les éditeurs de Bruxelles réimprimèrent froidement les gros mots envoyés à leur adresse, dans les livres où ils les rencontrèrent. Par eux, l’Europe apprit que la littérature française les tenait pour les plus grands forbans de l’univers, et la nation belge pour un peuple moitié singe, moitié bédouin, qu’il fallait mépriser ; car certains écrivains commirent la maladresse de s’en prendre à une petite nation dont l’amour-propre est nécessairement plus irritable, des torts d’une industrie établie chez elle à une époque où elle ne s’appartenait pas. C’était la pousser de gaieté de cœur à prendre le parti de la contrefaçon que jusqu’alors elle avait vue d’un œil assez indifférent. Sans approuver une colère de mauvais goût, d’autres personnes ont blâmé les Belges de n’avoir pas effacé de leur propre mouvement, dès les premières années de leur révolution, cette tache de la contrefaçon, dont l’odieux les atteignait toujours un peu. Comme nous croyons bien connaître les sentimens des hommes qui ont été tour à tour depuis treize ans à la tête des affaires en Belgique, nous tenons à les justifier du reproche d’apathie et de mauvais vouloir qu’on leur a plus d’une fois adressé à cet égard. La révolution belge avait affranchi la presse dans les termes les plus absolus. Le droit de tout imprimer était entendu alors d’une façon si littérale, qu’il aurait suffi aux contrefacteurs, inquiétés dans leur avenir, de déclarer la constitution en péril, pour faire reculer le gouvernement et paralyser ses meilleures intentions. Il avait d’ailleurs bien d’autres affaires plus importantes à finir, sans compliquer encore sa situation intérieure d’une réforme intempestive. Comment les hommes politiques qui n’ont pu empêcher pendant dix ans qu’un pamphlet honteux, plus vil encore que