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LA CONTREFAÇON BELGE.

a lésés, tout le prouve, ne pourraient que gagner à attendre, pour traiter avec elle, qu’elle en soit réduite à des extrémités plus dures encore ; cependant nous n’hésitons pas à dire qu’il faut travailler immédiatement, et avec plus d’énergie qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour, à l’abolition de cette industrie honteuse. Il y va de l’honneur de notre civilisation d’assurer à l’intelligence la jouissance d’un droit qu’elle n’a laissé violer que parce que les coups qu’on lui porte ne peuvent mettre la société matérielle en péril. Quand on parviendrait à nous prouver que la plupart des écrivains dépouillés par la contrefaçon n’ont reçu d’elle qu’une médiocre injure, qu’il en est même qui lui doivent d’avoir vu leur réputation s’étendre dans des pays où leurs livres ne seraient jamais arrivés, que, dans leurs rapports avec la librairie française, tous n’ont pas écouté l’intérêt même d’une industrie déjà si maltraitée au dehors, et que cette industrie à son tour a commis de grandes fautes, il suffirait, pour fixer notre opinion, qu’on nous remît devant les yeux les noms de quelques grands écrivains, MM. de Châteaubriand, Augustin Thierry, Béranger, à qui la contrefaçon dérobe un revenu légitime sans profit pour elle-même ; qu’on nous la montrât s’attaquant à des entreprises littéraires dignes des encouragemens de leur pays, et leur créant avec une audace tristement impunie des obstacles toujours renaissans. Il faut que la loi barbare derrière laquelle s’embusque le spoliateur de la plus noble des propriétés, d’une propriété dont chacun est appelé à jouir, disparaisse du code des peuples civilisés. Ce vœu, il y a long-temps que nous l’avons formé ; le concert de tous les publicistes européens sera peut-être nécessaire pour en amener l’accomplissement. Quant à nous, pressé d’apporter notre part dans cet effort commun, nous allons dire quels moyens nous semblent les plus propres à produire promptement ce noble résultat.

IV. — DE L’ABOLITION DE LA CONTREFAÇON BELGE.

Sur ce point, nous le déclarerons tout d’abord, nous professons un sentiment arrêté : parmi tous les moyens qui doivent conduire à la suppression définitive de la contrefaçon étrangère, il en est un, à notre avis, qui doit passer avant tous les autres, parce que l’efficacité de tous les autres en dépend, c’est celui qui consiste à proclamer le principe de l’abolition. À la France revient naturellement l’initiative de cette grande mesure, non point parce qu’elle y est au point de vue industriel la plus intéressée, mais parce qu’il lui appartient, comme nation qui règne par l’intelligence, de prendre les devans dans toutes les questions où sont en jeu les droits de l’intelligence. Peut-être cette manifestation généreuse dont il faudrait donner l’exemple, sans la garantie obtenue d’avance que les autres peuples s’empresseraient de le suivre, prendra-t-elle aux yeux des esprits positifs la couleur d’une utopie. Nous ne redoutons pas le reproche, et nous tenons qu’il est digne