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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

seur, nommé Léger, qui s’était fait histrion, le mit même en scène dans une parodie virulente, l’Auteur d’un moment. Léger s’efforçait de

Fustiger ce pédant qui pensait à la fois
Éclairer l’univers et régenter les rois.

Les vers, on le voit, étaient détestables. La pièce pourtant eut assez d’importance pour amener une sorte d’émeute au Vaudeville : Chénier, en sa destinée orageuse, portait partout le trouble après lui.

Dans les clubs, dans les journaux, à la convention, les inimitiés s’envenimaient, elles devenaient à chaque instant plus nombreuses. Fénelon, donné peu de jours après la mort de Louis XVI, y mit le comble. Cette tragédie était un acte de courage qui reprenait dignement, dans un autre sens, la tâche hardie commencée quelques semaines auparavant par Laya, dans l’Ami des Lois. Je sais bien que plus tard l’impitoyable Geoffroy, récriminant contre Chénier au nom de la réaction religieuse, a affirmé que dans cette pièce le poète avait eu la prétention de faire le code moral de 93, je sais encore que le haineux abbé s’est perfidement écrié à ce propos : « Quel père pour une telle fille ! » mais, à vrai dire, ces embuscades tardives sont peu loyales ; c’est comme le guet-apens d’une critique intéressée. Oui, il y avait du danger, devant ce tombeau de Louis XVI où s’étaient abîmées hier la royauté et la religion, en présence de l’athéisme d’Anacharsis Clootz, à venir mettre la philanthropie dans la bouche d’un prêtre, d’un animal noir, comme disait André Dumont à la tribune, à parler de la charité avec onction, à garder enfin le culte attendrissant de la pitié. Chénier lui-même osa ne pas déguiser son intention : « J’ai cru, écrivait-il, qu’en nos jours mêlés de sombres orages, lorsque les mauvais citoyens prêchent impunément le brigandage et l’assassinat, il était plus que temps de faire entendre cette voix de l’humanité. » Efforts perdus ! lutte inutile ! Tant que le poète n’avait fait que pousser le char à l’abîme, on avait pu apprécier sa force, on avait pu reconnaître l’effet réel de ses efforts ; mais lorsqu’il voulut changer de rôle et se jeter comme un obstacle sur cette pente terrible, il était trop tard, l’élan ne pouvait plus être contenu. Un pas encore, un pas de plus, et le char l’écrasait sous sa roue. Fénelon n’exerça aucune influence ; comme l’a très bien dit M. Daunou, l’auteur avait aspiré à se rendre utile, il ne réussit qu’à devenir plus célèbre.

Le pathétique puéril et romanesque de Fénelon ne saurait nous intéresser aujourd’hui : l’histoire d’une jeune fille détenue pendant quinze ans dans les cachots d’un cloître, et délivrée enfin par un prélat