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tieux et solennel que Mme du Lau chante les mystères du catholicisme ; elle a marié l’emphase d’Esménard à la naïveté du cantique, et de cette fâcheuse alliance il n’est résulté qu’un mortel ennui.

La poésie dévote a eu son écho dans l’église même, et il s’est formé de notre temps comme un parnasse ecclésiastique. Les lévites qui publient des vers placent leurs volumes sous la sauvegarde d’une dédicace sainte ; ils font des préfaces, et, au lieu d’accuser le siècle de son indifférence en matière de rimes, ils le prêchent sur la corruption de ses mœurs, ils associent dans un commun anathème les athées, les panthéistes et les libéraux.

Mon luth, prenons un ton qui soit digne des cieux !

Et le prône rimé coule en strophes monotones, car les sujets sont peu variés. Ce sont des odes aux demoiselles qui ont fait vœu de ne jamais se marier, des stances sur les anges gardiens, des dithyrambes sur la vertu, qui fait horreur aux libertins ;

Car hélas ! l’homme est si brute,
Que la vertu le rebute.

Ce sont de vives apostrophes aux amours illégitimes, et l’auteur déclare :

Qu’à leur amorce dégradante
Il voue une haine brûlante.

Il confesse cependant que, dans les lointains de sa vie, bien avant la tonsure, il a bu comme tout le monde aux courans troublés ; il convient même que la chair se réveille parfois quand des vierges (il s’agit sans doute de ses pénitentes) viennent lui confier leurs secrets. On croit alors entendre comme un soupir mal dissimulé, mais le battement du cœur s’apaise vite et finit par un signe de croix.

Les rimeurs du séminaire, ne pouvant élever le cantique à la hauteur de la poésie, ont appelé le chant au secours de la parole, et des abbés ont enrichi de musique leurs rimes dévotes pour l’usage des confréries du Sacré-Cœur ou du Saint-Rosaire. Une piété rigide aurait droit de protester contre cette innovation, car, en sécularisant ainsi la prière par la langue vulgaire et les airs notés, on ne fait que rappeler les psaumes de Marot et le français schismatique des hymnes de M. Chatel. Ce pieux dilettantisme a d’autres inconvéniens, le respect dû aux choses saintes peut être compromis par des ornemens profanes, et cette poésie chantée est de nature à causer de fâcheuses distractions aux plus recueillis. À voir ainsi la rime appeler la note à son secours, le moins sceptique a peine à chasser de sa mémoire un spirtituel mot de Beaumarchais.

Mais faut-il s’arrêter sur ces tentatives et sommes-nous encore ici sur le terrain des lettres ? À quoi bon prolonger un examen stérile ? Nous le savons assez maintenant, la lyre résonne mal sous les voûtes de la sacristie. Laissons donc les dévots prendre au sérieux leurs poètes ; c’est un courage que nous