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DU MOUVEMENT CATHOLIQUE.

chrétien, et s’engage à traduire les livres saints, à consacrer à ce travail tout le sentiment poétique qui est en lui. Nous savons si M. de Genoude a tenu promesse. Voilà donc cette ame inquiète rentrée au port, et il semble que le roman soit terminé. Pourtant M. de Genoude a encore quelques révélations à nous faire, quelques doutes à nous confesser ; il n’est pas bien assis dans la foi : pour s’y affermir, il lui reste à lire Bossuet, Platon, Descartes, et cela fait, il chancèle encore. C’est alors qu’il vient à Paris, où il est présenté aux personnages les plus marquans de l’époque. Puis il va entendre Talma, Mme Grassini, Mme Pasta, et à ce propos il nous expose ses idées sur l’art : pour M. de Genoude, la peinture flamande est sans beauté ; la seule, la véritable musique, c’est la musique militaire et la musique religieuse. Ces curieux aphorismes nous amènent au dénouement, c’est-à-dire à la communion du voltairien converti. Cependant, si l’on en croyait les dernières lignes, cette histoire ne serait pas complète. M. de Genoude ne nous aurait pas tout dit : après nous avoir raconté le premier travail de la lumière pour chasser les ténèbres de son esprit, il aurait à nous faire connaître le travail de l’amour divin pour chasser les affections terrestres. Cette dernière partie du livre, M. de Genoude ne sait pas s’il l’écrira. Pourquoi l’écrirait-il ? Pourquoi a-t-il écrit la première ? On cherche en vain le sens et la moralité de son récit ; on n’y trouve ni l’humilité d’une confession chrétienne, ni l’intérêt d’un roman. Faut-il y voir une méthode, et, qu’on nous passe le mot, une recette de conversion ? Nous ne conseillerions à personne de renouveler l’expérience de M. de Genoude : il n’appartenait qu’à lui de suivre cet étrange chemin qui mène à l’Évangile par l’Encyclopédie.

L’histoire de M. de Genoude a certainement de quoi surprendre : qu’est-ce pourtant que cette conversion miraculeuse auprès de la conversion de M. Veuillot ? C’est par une route bien autrement semée d’écueils que M. Veuillot est revenu au catholicisme. Interrogez plutôt ses romans. Il n’en est aucun qui ne contienne une révélation plus ou moins directe sur la vie de l’auteur. Cette biographie, dont quelques pages sont peu édifiantes, ne semble jamais lasser sa plume. Il revient à tout propos sur cette tâche délicate, il nous étale son ame en des replis qui écarteraient la curiosité chatouilleuse. La franchise indiscrète qui le porte à soulever tous les voiles, à ne jamais reculer devant les plus périlleux détails, souvent même à s’y complaire, cet oubli volontaire et obstiné de la mesure et du goût, crée à M. Veuillot une sorte d’originalité parmi les écrivains ultra-catholiques. Qui le croirait ? les éclats de sa voix ont dominé quelquefois le concert néo-chrétien, et, si l’on place l’éloquence dans l’abus de la parole, M. Veuillot est certainement un habile coryphée. La réaction catholique a encouragé cette verve, elle a échauffé cette bile dévote, comme on aiguise une lame qui paraît bien trempée, M. Veuillot se félicite quelque part de n’être pas tombé au rang des condottieri de la plume ; il se trompe : condottiere politique ou religieux, il a subi toutes les nécessités du rôle auquel le préparait son intolérance. Quoi q’il ait fait, sa plume n’a jamais été qu’une arme de combat.