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DE LA RÉFORME DES PRISONS.

France sont devenues, à un jour donné, la monnaie intellectuelle du continent. Mais le gouvernement est aujourd’hui accompli ; cette époque est arrivée à son terme. Le travail d’assimilation ayant cessé en Europe, les tendances individuelles reprennent leur cours.

Il faudrait fermer les yeux à la lumière pour ne pas voir que la vogue des opinions cosmopolites a fait son temps, et que les nationalités hier encore les plus indécises travaillent désormais à se fixer et à se renforcer. Dans un pareil moment, chaque peuple doit tendre à construire sa législation d’après le caractère qui lui est propre, et les lois ont moins que jamais la chance d’être obéies, si elles ne sont pas l’expression exacte des mœurs, ainsi que de l’état des esprits. La convention a pu lancer des décrets taillés sur le patron des institutions grecques ou romaines ; les conseillers de la restauration se sont proposé, dans leurs combinaisons législatives, l’imitation de la Grande-Bretagne : ces tentatives éphémères ne sont plus même possibles aujourd’hui. L’opinion publique exige du législateur qu’avant de saisir les chambres d’un projet, il ait étudié, pour en préparer les dispositions, les besoins et les vœux du pays.

À notre sens, un projet de loi sur la réforme des prisons suppose l’étude préalable des conditions de la pénalité en France, ainsi que la connaissance de cette race particulière de malfaiteurs qui peuple nos maisons de détention. L’observation est aussi la condition première de la thérapeutique dans l’ordre moral. Les tempéramens des peuples diffèrent entre eux de même que ceux des individus, et s’il y a une présomption naturelle en matière de réforme, c’est que celle qui a réussi dans une contrée quelconque ne saurait obtenir ailleurs un semblable succès.

Voilà le principe auquel déroge et que nie même implicitement le projet de loi. Nous mettons le gouvernement hors de cause, car le gouvernement a rempli un rôle purement passif. Les opinions qu’il soutient ne sont pas les siennes ; c’est à la commission de 1840 et à celle de 1843 qu’en revient la responsabilité. L’un et l’autre de ces comités renfermaient assurément des hommes capables ; mais qu’on nous permette de le dire, ni l’un ni l’autre ne présentait un seul publiciste qui eût pris la peine d’étudier à fond les prisons de la France et l’état de la criminalité dans notre pays. Le nom de l’honorable rapporteur, M. A. de Tocqueville, pèse sans contredit dans ces questions d’une autorité à laquelle nous ne faisons pas difficulté de rendre hommage ; il lui a manqué cependant de porter, sur nos établissemens