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L’ÎLE DE BOURBON.

faisait-il entendre son ramage. Aux premiers temps de la colonie, dit-on, les oiseaux trop nombreux détruisaient les grains et les fruits, et la compagnie obligea le planteur à déposer chaque année, comme tribut, une certaine quantité de têtes et de becs ; qu’on joigne à cette obligation le goût du créole pour la chasse, et l’on comprendra parfaitement que les oiseaux aient à peu près disparu de l’île. Le merle, ou plutôt le moqueur des montagnes, est devenu si sauvage, il se cache si loin des habitations désormais, qu’on a songé depuis trois ans à astreindre les chasseurs aux formalités du port d’armes ; dans les plantations, la perdrix s’est multipliée, parce qu’elle n’a à redouter aucun des ennemis quadrupèdes ou ailés qui la persécutent d’ordinaire dans le voisinage des forêts. Un seul oiseau de proie, d’une espèce voisine de celle du faucon et encore très peu répandue, habite ces pics où l’on s’attendrait à trouver le vautour chauve des Cyclades et l’aigle brun des Apalaches.

Après bien des détours, après avoir monté et descendu sur les pierres, dans l’eau, bien des côtes et des rampes que les malades, en se rendant aux eaux, traversent à dos de noir avec l’espérance de revenir à pied, après avoir franchi bien des ponts de bois jetés sur des ravins entre deux coteaux abruptes richement boisés, j’arrivai dans une contrée où la culture commence à faire des progrès. Pour mettre le pied sur les plantations de Salazie, il faut gravir un escalier de racines singulièrement glissantes au temps des pluies ; au-delà de ce rempart, ce sont des orangers, des pêchers, des caféiers, des haies de jamroses aux fruits odorans et colorés, en forme de poires, des champs de maïs au milieu desquels les troncs d’arbres encore debout rappellent les défrichemens de l’Indiana et de l’Illinois. Muni des pleins pouvoirs du maître absent, je m’installai dans une petite habitation, et je pus m’y reposer de la course du jour, servi par un esclave noir, chef des noirs, par des Yambanes, reconnaissables aux coches dont leur nez est hérissé, et par des Mozambiques grossiers et robustes. Cette mention d’un esclave malais étonnera sans doute les Européens ; mais c’est un fait, malheureusement très vrai, que l’enlèvement de ces Asiatiques sur leurs propres côtes par des négriers auxquels la traite, dans les pays africains, n’offrait pas d’assez considérables bénéfices. Ce fait est grave ; les excuses peu valables qu’on allègue en faveur du commerce des esclaves vendus par des vainqueurs et sauvés d’une mort certaine par les traitans qui les achètent, ces excuses ne peuvent même pas servir à ceux qui ont volé honteusement des enfans à main armée. Au reste, sauf de bien rares exceptions, la traite a cessé