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L’ÎLE DE BOURBON.

Les troupes de la garnison sont réparties dans les principales localités de l’île ; chaque village a son canon qui règle, le matin et le soir, le mouvement de la rade et l’heure de la retraite pour les noirs. À ces troupes réglées on doit ajouter les milices, qui s’élèvent environ à sept mille hommes ; un cinquième se compose d’hommes de couleur, parmi lesquels on compte plus de vingt officiers. Quand le gouverneur va, au nom du roi, qu’il représente, ouvrir la session, il est escorté par un détachement de cavalerie, compagnie supplémentaire, formée de la jeunesse élégante et riche comme la 13e légion de Paris. Le service se fait généralement avec zèle et régularité. Le petit blanc surtout se montre empressé à remplir les devoirs de citoyen ; au premier appel, il descend la montagne, pieds nus, tenant sur l’épaule le fusil soigneusement enfermé dans le fourreau de cuir. Il n’a pas d’uniforme, mais ses habitudes de chasseur, sa fierté personnelle, qui le porte à se placer si fort au-dessus de la classe mêlée, en ont fait et en feraient encore un bon soldat. Il a donné plus d’une preuve d’énergie et de patriotisme dans les évènemens dont l’île a été le théâtre de 1793 à 1818.

Depuis le commencement de la révolution jusqu’en 1803, la colonie se gouverna elle-même. Au gouverneur déposé se substitua une assemblée coloniale, laquelle se mit à suivre de son mieux le mouvement qui s’opérait en France ; cependant son zèle pour les idées de liberté se trouva en défaut sur un point important ; les agens du pouvoir central envoyés pour proclamer sans façon l’abolition de l’esclavage ne purent pas même débarquer dans l’île. Les premiers élans de l’enthousiasme révolutionnaire une fois calmés, les modérés l’emportèrent ; bientôt cependant il y eut contre eux une réaction terrible ; cent huit des principaux habitans, condamnés à la déportation, prirent le chemin des Seychelles ; une frégate anglaise se trouva là, qui coula leur navire et se chargea de faire périr dans les flots ceux auxquels le parti vainqueur avait voulu laisser la vie. Devenue une petite république, la colonie traita d’égale à égale avec les puissances, reçut les ambassadeurs de Tippo-Saheb et lui fournit des secours. Elle-même se fit représenter près du nabab par un agent qui l’aida dans ses guerres contre les Anglais ; cependant la garnison était réduite à cent cinquante hommes !

Grace aux corsaires qu’elle lançait vers les côtes de l’Inde, grace aussi à l’admission des navires étrangers sur ses rades, l’île, abandonnée de sa métropole, continua de prospérer. Sous l’administration du gé-