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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

de 50,000 francs exigé pour la publication hebdomadaire, à la condition que le Populaire prendrait une teinte catholique. L’offre a été refusée[1]. Peut-on, je le demande, servir utilement la cause de la religion en se mêlant ainsi aux luttes passionnées ? Donner à la croyance la couleur d’un parti, quel qu’il soit, n’est-ce pas la rendre suspecte, hostile même à tous les partis contraires ? La plupart des hommes qui se sont ainsi délivré à eux-mêmes, dans le journalisme, l’investiture de l’apostolat, avaient-ils en eux cette sincérité de convictions religieuses, ce calme, cette force de doctrines, ce détachement qu’on est en droit de demander à ceux qui s’attribuent une mission si haute ? Quelques-uns même n’auraient-ils point compromis la cause qu’ils croient servir ? Pour répondre à ces questions, il suffira de jeter un coup d’œil rapide sur la situation de la presse religieuse. Nous examinerons d’abord les journaux quotidiens qui se publient à Paris, puis les recueils périodiques, et nous passerons ensuite à la province.

Depuis 1830, la réaction catholique a tenté dans la presse de nombreux essais, et, malgré des sacrifices d’argent considérables, la plupart des entreprises n’ont eu qu’une existence éphémère. Parmi les journaux religieux qui se sont successivement éteints depuis douze ans, un seul, l’Avenir, a fait bruit, rédigé par MM. de Lamennais, Gerbet, Lacordaire, de Salinis, de Scorbiac, de Coux, de Montalembert, ce journal avait pris pour mission d’arracher à sa léthargie l’église immobilisée dans la tradition, afin de la mette en rapport avec les idées nouvelles, et de rallier en même temps autour du dogme catholique la philosophie égarée dans les systèmes individuels et les doutes vagabonds. C’était là une grande pensée, mais une pensée dangereuse pour l’église, car de ce point de vue il fallait démontrer clairement dès l’abord que l’affirmation catholique suffit à tous les développemens de la science, de la philosophie, de la société moderne ; laisser à cet égard le moindre doute dans les esprits, c’était admettre implicitement la nécessité, sinon d’une révélation nouvelle, du moins d’une profonde évolution dans la tradition dogmatique. L’Avenir demandait de plus la séparation complète de l’église et de l’état, la liberté illimitée de la presse, la liberté d’enseignement, la suppression du traitement du clergé. Ce fut un coup de tonnerre dans les nuages ; les témérités du programme, l’alliance de l’idée politique et de l’idée religieuse créèrent des impossibilités de toute espèce : l’Avenir tomba devant elles. Ultramontain en religion, radical en politique, et opposé par là au parti récemment vaincu, le journal de M. de Lamennais eut contre lui la majorité de l’épiscopat, qui alors datait tout entier de la restauration ; le clergé inférieur, qui s’alarmait avec raison de la suppression des traitemens ; le parti conservateur, qui avait lu dans le programme de l’Avenir cette phrase au moins irréfléchie : « Nous avons applaudi à toutes les révolutions faites, nous applaudissons à toutes les révolutions à faire ; » le parti radical, car il est difficile, quoi qu’on en ait dit, d’im-

  1. Le Populaire, no du 20 juillet 1843.