Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/509

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
505
DE LA QUESTION COMMERCIALE EN ANGLETERRE.

la valeur de l’argent a pour contre-coup inséparable la baisse, l’avilissement des prix et la diminution des profits et des salaires industriels. Alors ceux qui travaillent sur des capitaux empruntés, ceux qui avaient fait des achats à long terme, qui avaient contracté des engagemens lorsque les prix étaient élevés, et qui sont obligés de les tenir lorsqu’ils ne peuvent vendre leurs marchandises qu’à vil prix, se trouvent plongés dans des embarras ruineux qu’aucune prudence ne pouvait prévoir, auxquels aucune habileté ne peut se dérober. Les spéculations fondées sur la hausse antérieure subissent de désastreux échecs ; les spéculations sur l’avenir, ces opérations importantes des capitaux commerciaux, sont suspendues, car il devient dangereux d’acheter sur un marché où la tendance est à la baisse. Ainsi les affaires s’arrêtent, et le travail industriel subit une halte ou un ralentissement dont la population qui vit de salaires éprouve les effets les plus douloureux.

L’Angleterre est encore exposée à de graves périls par ses rapports avec l’étranger. Il est incontestable que la diminution de ses exportations pour les États-Unis a été une des causes les plus considérables de la dernière crise. En 1839, l’Angleterre exportait aux États-Unis pour plus de 220 millions de francs de produits ; en 1840, elle n’exporte qu’un peu plus de 100 millions, et en 1842, un peu moins de 90. On comprend ce qu’ont dû souffrir les classes si nombreuses engagées dans le commerce avec les États-Unis, et, le resserrement du marché étranger causant un resserrement correspondant dans le marché intérieur, comment le choc s’est fait sentir dans tous les rouages de la machine économique de l’Angleterre. Le mal a dû être énorme sans doute, mais les alarmes qu’il doit inspirer pour l’avenir sont plus graves encore. M. Gladstone exprime son anxiété à cet égard en des termes qui méritent d’être médités : « L’homme d’état qui voit de loin, dit-il, doit considérer avec effroi les conséquences que peut avoir un état de choses qui place la prospérité commerciale de l’Angleterre sur le sable mouvant et perfide de ses rapports avec les marchés d’un pays rival. Si la diminution de notre exportation pour les États-Unis a contribué pour une très grande part à la crise récente, quelle n’eût pas été la profondeur du désastre occasionné par une suspension totale de nos exportations pour ce pays ! et combien serait lamentable la ruine qui s’appesantirait sur l’Angleterre, si une guerre ou un embargo arrêtait l’importation du coton de l’Amérique du Nord, nécessaire à nos manufactures ! La probabilité d’un évènement semblable peut être éloignée, mais il suffit seulement qu’il soit possible pour