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REVUE. — CHRONIQUE.

deviendrait le texte d’une accusation légitime contre le ministère. L’avenir du cabinet actuel repose donc principalement sur cette question : on doit le comprendre à Londres comme à Paris. La majorité ne reculera pas sur ce point ; c’est à la fois dans le pays sa force et son honneur. Elle se respecte trop pour livrer l’une, et elle n’est pas assez insensée pour sacrifier l’autre.

De tous les reproches qu’on peut adresser à cette majorité, le moins fondé est assurément celui d’être une majorité sans indépendance. S’il y a dans le parti conservateur une masse inerte, dénuée d’initiative et d’esprit politique, une sorte de lest gouvernemental qu’on a pu, avec quelque vérité, qualifier de mobilier ministériel, rien ne serait plus mal fondé qu’une telle désignation, appliquée à la fraction nombreuse de l’opinion conservatrice qui forme l’appoint nécessaire de la majorité ministérielle. Tant de lois rejetées l’année dernière l’ont constaté jusqu’à l’évidence. Nous craignons fort que les échecs du même genre ne viennent le constater encore cette année. Peut-être même faut-il s’inquiéter un peu de cette tendance d’une opinion gouvernementale à marcher selon ses caprices et à se créer une facile popularité aux dépens du ministère qu’elle maintient néanmoins aux affaires. Un des torts véritables du cabinet est d’avoir accepté, sans la combattre, cette dangereuse disposition. La majorité pèse d’un poids immense sur la politique étrangère par le veto tacite qu’elle s’est réservé : les négociations de Londres pour la révocation du droit de visite ne sauraient manquer de provoquer de sa part une intervention décisive à une époque peu éloignée. Elle est en mesure d’exercer une action non moins souveraine sur les points les plus délicats de la politique intérieure.

Le ministère n’a pas assez compté avec ses scrupules et ses habitudes d’indépendance, en se refusant, malgré les avertissemens d’un grand nombre de ses amis politiques, à toute modification dans le dernier paragraphe de l’adresse. Accepter une atténuation quelconque d’un texte devenu en quelque sorte sacramentel par l’adhésion unanime de la commission était peut-être une résolution grave, et qui pouvait soulever des objections. On s’exposait à donner ainsi une sorte de triomphe à un parti fort disposé à accepter les succès factices en compensation de ceux que l’opinion lui refuse, on perdait jusqu’à un certain point le bénéfice de l’accablante victoire de M. le ministre des affaires étrangères sur l’éloquence éclipsée de M. Berryer, et l’on relevait un peu les hommes que la chute d’un grand orateur avait entraînés dans sa ruine. Mais que de considérations puissantes ne venaient pas se placer en face de celles-là ! Livrer une seconde bataille, était-ce s’assurer une seconde victoire ? Était-il prudent de rompre sur une telle question le faisceau des opinions dynastiques dans la chambre, et le maintien d’une expression que personne ne défendait en elle-même, tant elle dépassait la juste mesure, valait-elle une si profonde et si funeste division ? Quel eût été l’effet moral de la loi de régence votée, après deux épreuves, avec 190 boules noires au fond de l’urne ? Ne fallait-il pas aussi tenir grand compte de l’effet moral qu’allait produire un tel débat sur la portion