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lui défendre de jouer avec sa trompe, surtout de rien voler dans les boutiques, et lui promettre, s’il est sage, des feuilles fraîches au retour. » Au reste, cette monture convient parfaitement dans les rues populeuses, souvent encombrées de chariots, de mendians, de chiens sans maîtres, de palanquins ; sur le siége aérien, on se dégage un peu des tourbillons de poussière, des exhalaisons étouffantes que produit une foule compacte sous le soleil des tropiques. Hyderabad a, comme Dehly, comme Agra, des monumens d’une époque de splendeur, mosquées, arcs de triomphe, remparts à créneaux aux portes massives comme ceux de Moka et du Caire ; là se retrouvent les ornemens semés avec profusion, les balcons, les tourelles, les coupoles, qui éblouissent l’œil et laissent dans le souvenir les illusions d’un rêve. Tous ceux qui ont visité quelque ville d’Orient conviendront sans peine qu’il est impossible d’en faire la peinture exacte ; dans l’Inde surtout, où l’architecture musulmane, pleine de fantaisie et de grace, se mêle à l’architecture brahmanique, torturée, surchargée de figures grimaçantes, où l’arabesque idéale, avec ses courbes sans nombre, ses angles brisés, s’interrompt pour faire place au mystérieux portique tout animé de bas-reliefs monstrueux, comment se rendre compte des détails d’une si féerique décoration ? La description d’Hyderabad, la visite au ministre Chandoulal, le récit de la fête et des danses dans le palais de ce fonctionnaire, composent un des plus intéressans chapitres du journal de M. de Warren ; même après tout ce qui a été dit sur ces matières, on ne se lasse pas de regarder derrière le voile qui recouvre de si curieuses scènes d’intérieur. À propos de la natche (danse de bayadères), dont Chandoulal régala ses hôtes, nous citerons un passage remarquable qui nous a vivement frappé par le souvenir d’un spectacle analogue dont nous avons été témoin nous-même : « Je remarquai bientôt qu’outre la foule qui s’étendait devant nous, il y avait d’autres spectateurs qui, pour être invisibles, ne prenaient pas moins d’intérêt à la natche, et révélaient leur présence par des chuchotemens et des éclats de rire étouffés. C’étaient, derrière certains treillis en bois ouvrant sur le salon, les dames du harem de Chadoulal et de sons fils… Il paraît que la vanité de quelque jeune mère avait excité une discussion sur la convenance d’envoyer des enfans recueillir l’admiration des gentilshommes européens. Une porte s’ouvrit bientôt pour laisser passer deux domestiques et deux enfans. Une ayah (bonne) portait un nourrisson entre ses bras ; sur la tête de l’enfant était une calotte enrichie de broderies éblouissantes ; son petit corps était chargé d’autant d’ornemens qu’on en pouvait placer.