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tiques ! — La guerre est déclarée ; trois colonnes s’avancent pour envahir le petit territoire, en pleine mousson, à travers ces Gatthes que les torrens coupent et déchirent, au milieu de coteaux couverts encore de forêts gigantesques et primitives. Voici en quelques lignes l’aspect du pays dans lequel s’engageaient les trois colonnes ; ce tableau, pris sur nature, nous le montrera comme les soldats l’apercevaient eux-mêmes au travers d’une clairière : « Outre les embûches de l’homme, nous avions à craindre tous les hôtes de la forêt, et en première ligne le tigre et l’éléphant, qui s’en disputent la souveraineté. À chaque pas, le bruit de notre approche faisait lever devant nous des daims, des paons, des coqs de bruyère ; un sanglier énorme traversait le sentier et plongeait avec fracas dans les broussailles. Des bandes nombreuses de singes nous accompagnaient et nous devançaient, sautant de branche en branche avec une agilité comparable à celle des oiseaux, grimaçant et babillant. Plus d’un fusil retenu par la discipline s’abaissa involontairement pour nous venger de leurs outrages ; plusieurs fois leur nombre, le bruit et l’agitation de leurs ébats nous firent croire à la présence de l’ennemi… Parfois aussi de vieux teks complètement blanchis par l’âge, déracinés et arrêtés à moitié dans leur chute par d’autres arbres, témoignaient que la hache n’avait jamais pénétré dans ces lieux sauvages ; ailleurs, c’était à peine si nous pouvions avancer entre les gerbes serrées des bambous et les broussailles qui accrochaient et déchiraient nos uniformes. Quand, à de longs intervalles, se présentait une clairière ou le bassin défriché d’un torrent, nous traversions généralement un misérable village entouré d’une palissade, ou plus souvent encore une collection de huttes établies sur les arbres parmi le feuillage, d’où les habitans veillaient à la sûreté de leurs champs et défendaient plus facilement leurs moissons contre les ravages des bêtes féroces. » On reconnaît bien là le centre de ce pays sauvage, plein de légendes terribles, que les Hindous des anciens temps désignaient tout entier par le nom de forêt, et qu’ils peuplaient d’êtres malfaisans. Il y avait donc là deux ennemis à combattre ; le plus terrible, c’était le pays, souvent inaccessible, où il eût été assez aisé d’arrêter l’armée. La colonne du nord, celle dans laquelle serait M. de Warren, réduite au tiers de ses bagages par ordre supérieur, pour être plus leste, ne traînait à sa suite que 2,500 camp followers (serviteurs du camp) et 1,038 bêtes de somme, dont 200 chameaux et 8 éléphans. Le nombre des combattans, il est vrai, n’atteignait pas le chiffre de 2,500. Quand les bagages sont au grand complet, la moindre petite armée se change en une masse de