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ÉCONOMISTES FINANCIERS DU XVIIIe SIÈCLE.

son style n’a pas assez de consistance pour donner du corps à des notions abstraites ; mais une sagacité naturelle lui fait entrevoir les vrais principes sur l’essence et la source de la richesse publique, sur le rôle des métaux précieux employés comme numéraire, sur les avantages de la libre circulation des espèces et des marchandises, sur la liberté du commerce des grains, sur le danger des impôts vicieux. Tandis que chacun expliquait à sa manière une détresse sans exemple dans les époques antérieures, Boisguillebert osa dire : Une succession de guerres ruineuses, les folles prodigalités de la cour, ont pu augmenter la misère publique, mais elles n’en sont pas la cause première. Si l’argent est rare, c’est qu’il est enfoui et non pas, comme on le suppose, exporté dans les pays étrangers. D’ailleurs, l’or et l’argent que vous prétendez accaparer ne sont utiles que comme moyens d’échanges ; ils contribuent à l’enrichissement d’un pays, mais ils ne constituent pas sa richesse véritable, si ce n’est pour l’Inde et le Pérou, dont ils sont les productions naturelles. L’impôt, dont vous vous plaignez avec raison, n’est accablant que parce qu’il est mal réparti ; le secret de la régénération c’est l’abolition de toutes les mesures fiscales qui paralysent l’agriculture et le commerce ; c’est tout simplement « la permission accordée au peuple de labourer et de commercer, ou, en d’autres termes, de s’enrichir. » Tels sont, en substance, les enseignemens qui ressortent des œuvres de Boisguillebert. Sans partager l’exagération de M. Daire, qui voit en lui le « Christophe Colomb du monde économique, » on ne saurait refuser à l’auteur du Détail de la France cette puissance d’observation qui dénote l’inventeur. Il est probable que si Boisguillebert avait été compris et apprécié par ses contemporains, s’il avait ressenti cette excitation fécondante que le succès détermine, il eût le premier tracé le cadre de la science économique et mérité pleinement les éloges de M. Daire, qui distingue en lui « le premier anneau de cette chaîne savante formée par les noms illustres de Quesnay, de Smith, de J. B. Say, de Malthus, de Ricardo et de Rossi. »

La réforme proposée demeura comme non avenue. Ne nous hâtons pas de mettre en cause les ministres de Louis XIV. Bien qu’excellentes au point de vue du sens commun et de la justice absolue, les idées de Vauban et de Boisguillebert soulevaient dans la pratique des difficultés à peu près insurmontables. Les abus invétérés et passés dans les mœurs acquièrent une sorte de légitimité qui les protége en les élevant au niveau des droits naturels et imprescriptibles. Un gouvernement régulier n’accepte pas facilement l’odieux d’une mesure