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le capital mobile destiné aux échanges, faible portion de la richesse d’un pays, en constitue à lui seul la richesse entière. Avancer d’une manière absolue, comme on l’a fait souvent, même depuis Law, que « toute augmentation de numéraire ajoute à la valeur d’un pays, » c’est émettre un axiome fort dangereux. L’accroissement du capital circulant est à la vérité un grand bienfait pour les peuples arriérés à qui manque l’argent, le premier outil du travail : chez ceux-ci, à mesure que le mouvement des capitaux est accéléré, toutes les entreprises, jusqu’alors languissantes, semblent vivifiées par enchantement ; les bras inoccupés trouvent facilement un emploi utile ; on remarque une sorte d’épanouissement général, qui se manifeste surtout par un accroissement de population. Supposez au contraire, chez un peuple déjà enrichi par l’industrie, une augmentation subite et excessive du numéraire ; il n’en résultera qu’une perturbation nuisible à tous les intérêts, et particulièrement à ceux de la classe pauvre. Le cercle des spéculations profitables étant épuisé, le capital surabondant cherchera à s’utiliser à tout prix ; il se fera concurrence à lui-même, et se dépréciera par sa profusion. Un prompt renchérissement de toutes les marchandises aura pour effet de déranger l’équilibre des fortunes et de rendre impossibles les relations commerciales avec l’étranger.

On était si loin d’un pareil excès, au commencement du XVIIIe siècle, qu’il était difficile de le prévoir, même théoriquement. Pour les administrateurs, l’augmentation du numéraire était vraiment le grand problème à résoudre. Comment atteindre ce but ? Les anciens financiers croyaient, sur la foi des docteurs de l’église, qu’une pièce n’est qu’un signe représentatif, qu’un billet, dont l’effigie du prince est la signature, et dont la matière est indifférente. En conséquence ils refondaient la monnaie pour faire deux ou trois pièces avec une ; ou, plus simplement, ils se contentaient de remarquer les anciennes pièces pour leur attribuer une valeur plus élevée. Law comprit fort bien que la pièce de monnaie est un billet portant en lui-même sa garantie, c’est-à-dire que sa valeur conventionnelle a pour base sa valeur intrinsèque comme métal. Mais, précisément parce que l’or et l’argent en leur qualité de marchandises, sont soumis à des variations de hausse et de baisse, de rareté et de surabondance, Law prétendit qu’il y aurait avantage à les remplacer par de la monnaie de papier. De la sorte, disait-il, le nouvel agent de la circulation, le papier, émis sous bonne garantie et avec une sage réserve, conserverait une valeur strictement déterminée, et serait toujours proportionné aux besoins du pays, par la facilité qu’on aurait d’étendre ou de restreindre l’émis-