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SOUVENIRS D’UN NATURALISTE.

tapissent de leur verdure luisante, que relèvent les riches festons des rosiers à mille fleurs. Cependant Bréhat est à peu près sous le même degré de latitude que l’Alsace. Strasbourg est même de quelques lieues plus avancé vers le sud, et, tous les ans, la rivière qui traverse cette ville gèle assez solidement pour supporter de nombreux patineurs, ce qui suppose un froid de sept à huit degrés au-dessous de zéro soutenu pendant quelques jours. Cette différence de température présentée par deux localités placées à la même distance du pôle, s’explique par un de ces grands phénomènes de physique générale dont nous avons entretenu nos lecteurs dans un article précédent[1]. C’est le gulf-stream qui donne à la Bretagne en général, à Bréhat en particulier, ce climat si extraordinaire au premier coup d’œil. On se rappelle peut-être que ce grand courant d’eau échauffée par les feux de l’équateur et du tropique, après s’être échappé du golfe du Mexique, revient vers l’Europe, et qu’une de ses branches, poussée vers le nord par la presqu’île espagnole, vient se briser sur les côtes de la Bretagne. Là, elle pénètre dans la Manche, et entoure Bréhat de ses ondes encore tièdes. Mais si elle protége cette petite île contre les rigueurs de l’hiver, elle lui amène, en revanche, une humidité extrême, et la science médicale trouvera dans ce fait l’explication des affections rhumatismales, surtout des ophtalmies rebelles qui désolent une grande partie de la population.

Assez semblable à la grande île de Chausey par la nature du sol, par le climat, par les productions, Bréhat s’en distingue surtout par une étendue huit ou dix fois plus considérable. En tenant compte de cette circonstance dans l’examen des animaux qui la peuplent, nous trouvons qu’on peut faire à ces deux îlots l’application d’une de ces belles lois de zoologie générale que le génie seul a pu révéler à notre grand Buffon, et qui, long-temps niées par les naturalistes, se confirment chaque jour davantage à mesure que la science fait de nouveaux progrès. Buffon a posé en principe que le nombre et la taille des espèces animales vivantes sur un continent, sur une île, sont en rapport avec l’étendue de terre qui leur est départie, de telle sorte qu’elles deviennent à la fois plus petites et moins nombreuses à mesure que l’espace habitable diminue. Eh bien ! cette proposition est vraie pour le cas dont nous parlons. On rencontre à Bréhat toutes les espèces de mammifères, d’oiseaux et de reptiles propres à Chausey. Chacune de

  1. Voyez, dans la livraison du 1er mars 1843, la Floride.