Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/647

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
643
SITUATION DES PARTIS.

Elle ne trouve pas enfin dans une hiérarchie régulièrement établie un instrument tout fait de discipline et de cohésion. Pour agir sur le pays comme sur elle-même, elle n’a qu’un moyen, la discussion. Si elle renonce à ce moyen, ou n’en use que faiblement et rarement, les opinions lui échappent comme les intérêts, et l’idée de sa défaite définitive pénètre bientôt tous les esprits. Or on sait qu’en France surtout la dispersion suit de près la défaite.

Pour que la nouvelle session ne ressemblât pas à la précédente, deux choses étaient donc indispensables, l’une que les deux principales fractions de l’opposition constitutionnelle oubliassent leur différend de 1842, l’autre que personne ne restât plus sous sa tente, et que la politique ministérielle rencontrât tous ses adversaires à la tribune. Or, il faut le dire à la louange de l’opposition constitutionnelle, elle était tout entière de cet avis quand la session s’est ouverte, et chacun par les mêmes motifs apportait à Paris la même détermination. Sans doute le centre gauche et la gauche constitutionnelle n’ont pas sur certaines questions une opinion identique ; mais avant d’en venir à ces questions, il en est beaucoup à résoudre qui ne peuvent être le sujet ou le prétexte d’aucun dissentiment. Or, que dirait-on de deux alliés qui, poursuivant un but commun, mettraient bas les armes devant l’ennemi parce que plus tard ils peuvent cesser de s’entendre ? Que dirait-on de deux voyageurs qui, ayant la même route à parcourir, refuseraient de monter dans la même voiture, parce que l’un pense à aller plus loin que l’autre et que le temps peut venir où ils jugeront à propos de se séparer ?

Dès l’ouverture de la session, il resta donc bien entendu qu’on ne donnerait pas plus long-temps au ministère le plaisir d’une dissidence où le présent serait follement sacrifié au passé ou à l’avenir. Il resta bien entendu aussi que chaque parti se produirait à la tribune, et que le pays serait mis en demeure de juger. On sait ce qui s’est passé depuis, et quelle belle, quelle utile discussion est venue consacrer, consolider à la tribune le rapprochement et la réorganisation de l’opposition. Il n’y a point d’exagération à dire qu’au moment où pour la première fois, depuis la loi de régence, M. Thiers a demandé la parole, tout le monde a compris que la situation était gravement modifiée. Elle l’était plus gravement encore quand M. Thiers est descendu de la tribune après avoir, avec tant de fermeté et de modération, relevé son drapeau. À dater de ce moment, il ne restait plus au sein de l’opposition constitutionnelle ni méfiance, ni défaillance, ni hésitation. Tous les liens étaient renoués, et le gouvernement repré-