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quant aux principes, la chute des whigs et l’avénement des tories ont notablement changé la situation. Certes la France n’a pas à se louer des whigs, qui, contrairement à leur vieille politique, sont devenus en 1840 ses adversaires les plus acharnés. Les tories, au contraire, se montrent jusqu’à présent pleins de politesse et d’égards, du moins dans leur langage officiel. Il n’en est pas moins vrai que dans le règlement des affaires européennes il y avait pour la France plus de chances de s’entendre avec le cabinet des whigs qu’avec le cabinet des tories. Les tories, bien que fort modifiés, tiennent encore par beaucoup de fils à la sainte-alliance, et conservent pour les puissances absolutistes de secrètes sympathies. Qu’il s’élève en Europe quelques questions où les peuples soient d’un côté, les gouvernemens de l’autre, et ce n’est pas vers les peuples qu’ils se sentiront entraînés. Il est donc peu probable que dans l’état actuel des choses la France et l’Angleterre aient à soutenir en commun une lutte de principes. Restent les intérêts. Or, sur le terrain des intérêts, il est bien difficile que l’Angleterre et la France se rencontrent aujourd’hui. De 1830 à 1836, il y avait à résoudre en Europe certaines questions au sujet desquelles les deux pays avaient un intérêt commun. Ces questions ont disparu, et celles qui restent sont plutôt propres à diviser qu’à réunir. Nulle part on n’aperçoit donc les fondemens solides de l’entente cordiale ; nulle part surtout on ne voit ce qui a pu conduire le cabinet à la proclamer avec tant de bruit et d’éclat, au risque même de la compromettre. Sans doute la politique de rancune ne vaut rien, et l’offense de 1840 ne doit pas empêcher la France d’agir en commun avec l’Angleterre, quand il y aura quelque grande chose à faire ; mais c’est là une règle de conduite générale, et qui s’applique aux autres puissances européennes aussi bien qu’à l’Angleterre. Pourquoi donc choisir précisément celle dont on a le plus à se plaindre pour lui promettre une part spéciale dans ses affections. Le soin de notre dignité comme la saine politique, tout commandait une grande réserve. Si le ministère y a manqué, ce n’est pas une raison pour que la chambre y manque à sa suite.

Je viens de résumer en peu de mots les principaux argumens présentés par l’opposition dans les séances du 20 et du 22 janvier ; mais ce qu’il est impossible de reproduire, c’est l’effet de ce grand débat. Par une discussion vive, pressante, nourrie de faits, M. Billault avait fortement ébranlé la chambre. Par une exposition large, calme, pénétrante, M. Thiers acheva de la convaincre. À mesure que le premier parlait, on voyait le trouble, le doute, l’inquiétude, parcourir les bancs ministériels ; à mesure que le second avançait, il semblait qu’une vive