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cette question d’ailleurs, comme dans celle du droit de visite, M. Guizot avait contre lui le sentiment intime et l’opinion réfléchie de la chambre presque entière. Aussi, pour qu’il obtînt le vote, deux choses devinrent nécessaires : l’une, que la commission, sur la provocation de M. Dupin, vînt manifester un demi-dissentiment et restreindre, si ce n’est désavouer, le sens attribué par M. Guizot au paragraphe de l’adresse ; l’autre, que M. Guizot lui-même, au dernier moment, vint annoncer que, si l’amendement était adopté, l’œuvre du cabinet était détruite et ne pouvait être continuée. À l’aide de la première de ces déclarations, on satisfit quelques membres de l’opposition qui s’abstinrent de voter ; à l’aide de la seconde, on rallia nécessairement tous les membres ministériels. C’est ainsi que l’entente cordiale transformée et limitée finit par obtenir l’approbation de la chambre à 40 voix à peu près de majorité.

Assurément un tel vote, après un tel débat, ressemble moins à une victoire qu’à une déroute ; cependant il y a quelque chose de plus grave encore : c’est la situation nouvelle qui en résulte pour le ministère. Au mépris d’un sentiment public auquel s’associaient beaucoup de ses amis, le ministère a proclamé dans le discours du trône la reprise de l’alliance anglaise, et obtenu de la chambre une phrase qui sanctionne en partie cette alliance ; mais, pour que cette phrase fût votée, il a fallu qu’il donnât de dangereuses assurances et qu’il prît une lourde responsabilité. Quoi qu’il fasse et quoi qu’il dise, il est aujourd’hui garant devant la chambre, devant la France, de l’accord annoncé. Que cet accord fléchisse à Madrid, à Athènes, à Constantinople, et tout le monde, opposition et majorité, s’unira pour lui en demander compte ; tout le monde s’unira pour lui dire qu’il n’est pas permis, dans je ne sais quel petit intérêt, de compromettre les grands pouvoirs de l’état, et de leur faire prononcer des paroles que l’évènement vient bientôt démentir. De ses propres mains et sans que rien l’y forçât, le ministère s’est donc préparé des difficultés dont peut-être il s’est déjà ressenti. Croit-on en effet que le ministère, tout optimiste qu’il peut être, n’a pas remarqué comme toute la chambre, comme toute la France, le contraste des deux discours du trône à Paris et à Londres ? Qu’on ne s’arrête point aux mots, si l’on veut, et qu’on prenne les relations amicales comme un équivalent de la sincère amitié, la bonne intelligence comme un synonyme de l’entente cordiale. Qu’on oublie même, s’il le faut, qu’à Paris il y avait un paragraphe spécial pour l’Angleterre, tandis qu’à Londres la France est confondue dans le même paragraphe avec les autres puissances. Toutes ces nuances