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M. de Martignac au pouvoir et qui l’y soutint contre le parti contre-révolutionnaire. C’est aussi une majorité de transaction qui, après la mort de lord Liverpool, vint se former autour de l’illustre Canning et lui donna le moyen de résister d’une part aux ultra-tories, de l’autre aux radicaux extrêmes. C’est enfin à l’aide d’une majorité de transaction que lord Melbourne a gouverné l’Angleterre de 1835 à 1841, et opéré dans son pays tant d’utiles réformes. De tels exemples sont concluans, pour ceux du moins qui tiennent compte des faits, et qui ne croient pas que les sociétés se gouvernent comme la géométrie se démontre, par des règles absolues.

Cependant, j’en conviens volontiers, il ne suffit pas de désirer une transaction pour qu’elle soit possible. Si donc le parti ministériel pur a pleinement raison sur tous les points ; si dans les lois que nous devons à la révolution, à l’empire, à la restauration, à la révolution de juillet, il n’y a aucun abus à faire disparaître, aucune lacune à combler, aucune anomalie à corriger ; si les réformes que sollicite l’opposition sont toutes insensées, funestes, destructives de l’ordre ; si enfin la politique extérieure arrive partout et toujours aux dernières limites de la fermeté, de la prévoyance et de la dignité, je comprends qu’on hésite, qu’on recule, qu’on se refuse à toute espèce de transaction. Mais, de bonne foi, la majorité même de la chambre est-elle de cette opinion ? Nous faisons une grande tentative, celle de faire marcher d’accord les institutions représentatives et la centralisation impériale, celle de marier ensemble un système et des lois conçus dans une pensée toute différente et tendant vers des buts opposés. Déjà, dans ce recueil même, les difficultés d’une telle entreprise ont été plusieurs fois signalées ; déjà l’on s’est demandé si d’une part des fortunes si médiocres et des besoins si variés, de l’autre tant d’emplois et de faveurs de toute sorte à la libre disposition des ministres ne devaient pas engendrer une double tentation à laquelle il serait difficile de résister long-temps. Ce sont les électeurs qui font les députés, les députés qui font les ministres ; mais en revanche ce sont les ministres qui distribuent les emplois et les faveurs aux députés, les députés qui les font obtenir aux électeurs. De ces deux dépendances en sens inverse, ne peut-il pas résulter quelque jour un arrangement sous-entendu qui vicie, qui corrompe à la fois les institutions représentatives et la centralisation ? Combien d’électeurs et de députés sont dès aujourd’hui disposés à livrer la politique aux ministres, pourvu que ceux-ci leur livrent en échange l’administration ! Combien de ministres paraissent prêts à accepter le marché, sauf à en faire un semblable de