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DE LA CRISE POLITIQUE EN ESPAGNE.

et de M. Serrano. Le crédit dont le général avait joui jusque-là, il en était redevable à son ami don Salvador Calvet, membre du sénat, et proche parent de Mme la marquise de Valverde, dame d’honneur de la reine, dont l’influence était prépondérante depuis la mort de Ferdinand VII. Dans la correspondance intime qu’elle entretenait avec quelques-uns de ses partisans, la reine Christine, redoutant l’influence que M. Olozaga pouvait prendre sur l’esprit de sa fille, recommandait instamment que l’on appuyât le plus possible le général Serrano. M. Olozaga avait au palais des amis plus nombreux et plus résolus que ceux du ministre de la guerre. À leur tête il faut placer Mme la marquise de Santa-Cruz, gouvernante de l’infante Marie-Louise-Fernande, que le premier ministre a plus tard accusée en plein congrès d’avoir préparé et précipité sa chute. Mme de Santa-Cruz ne dissimulait à personne ses dispositions bienveillantes envers M. Olozaga, pas même au général Narvaez. Narvaez, qui depuis long-temps est lié avec la marquise, se plaignant énergiquement à elle de l’appui qu’elle prêtait au président du conseil, Mme de Santa-Cruz lui répondit en riant qu’il n’était point de son siècle : « Dieu me pardonne, lui dit-elle, quel bon général vous auriez fait au moyen-âge ! »

Dans cette lutte qui devait entraîner de si funestes conséquences, M. Olozaga ne tarda point à l’emporter. Il avait été le précepteur de la reine, il était maintenant le président du conseil. La reine n’accorda plus une faveur, une grace, qu’il ne l’eût approuvée, ou, pour mieux dire, imposée. M. Olozaga s’appliqua surtout à éloigner de la personne royale ceux qui, par leur position, étaient à même d’exercer la moindre influence, et non-seulement ses collègues, mais la marquise de Santa-Cruz elle-même et jusqu’au général Narvaez. Profondément blessé des procédés du premier ministre, le général ne venait plus chez la reine qu’à l’heure où il était obligé de lui demander le mot d’ordre en qualité de capitaine-général de Madrid. Nous devons dire à quelle occasion Narvaez cessa de se montrer au palais, si ce n’est pour remplir ses fonctions officielles ; c’est là le fait qui a dénoncé au corps diplomatique et aux grands d’Espagne la contrainte morale que M. Olozaga s’efforçait de faire subir à la reine. Le général Narvaez n’ayant pu assister à un banquet où elle avait réuni les députés et les sénateurs, la reine voulut le dédommager en l’invitant à un second dîner politique qu’elle donnait au corps diplomatique. M. Olozaga refusa son consentement ; la reine insista. Après avoir combattu long-temps la volonté de la reine, M. Olozaga dut enfin céder, et Narvaez reçut sa lettre d’invitation. Le jour où le banquet eut lieu, la jeune reine, ayant aperçu Narvaez parmi les convives, lui adressa naïvement ces paroles, qui témoignaient de la résistance que lui avait opposée son premier ministre : « Enfin te voilà venu, général ! je savais bien qu’il en serait comme je l’entendais ! » À ce repas, du reste, comme à celui où assistaient les députés et les sénateurs, et à tous les dîners politiques qui furent donnés par la suite, on remarqua les façons dégagées que M. Olozaga affectait de