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DE LA CRISE POLITIQUE EN ESPAGNE.

plaignait avec amertume d’un acte si exorbitant, dans la journée même du 29 novembre, au ministre de la justice, M. Luzurriaga. Aux reproches de l’honorable sénateur, M. Luzurriaga se récria énergiquement, et déclara qu’il n’en avait absolument rien su jusque-là. M. Calvet crut devoir insister ; comme il faisait observer qu’une si importante mesure n’avait pu être prise que de l’avis exprès du conseil, M. Luzurriaga s’offensa des soupçons de M. Calvet, et répéta plus formellement encore qu’il n’en avait jamais été question, lui présent. « Puisqu’il en est ainsi, monsieur le ministre, lui dit alors M. Calvet, vous m’autorisez, je pense, à faire usage de votre déclaration dans le sénat. » M. Luzurriaga se garda bien de prononcer dans les cortès une seule parole qui lui pût attirer un démenti de M. Calvet.

M. Olozaga était si exclusivement préoccupé de la dissolution des deux chamhres, que, dans les journées du 27 et du 28 novembre, il ne dit pas un mot à la reine de la démission du général Serrano. La reine était peut-être la seule personne qui n’en eût point encore entendu parler. Dès à présent, nous pouvons préciser les reproches que l’on est en droit d’adresser au ministre déchu. M. Olozaga s’est perdu par les difficultés purement politiques dont on eût dit qu’il se plaisait à s’entourer. Au fond de l’impasse où il se trouvait engagé, il rencontrait pour principaux obstacles les antipathies naissantes et déjà insurmontables des deux partis et des deux chambres ; comme il répugnait à son orgueil de rebrousser chemin, et que d’ailleurs cela lui eût été absolument impossible, c’est en déconcertant les partis, c’est en écartant les chambres qu’il essaya d’échapper à cette inextricable complication. Quelques affamés de scandale se sont efforcés d’accréditer çà et là dans l’opinion une accusation bien autrement odieuse, et dont les adversaires déclarés de l’ancien ministre ont été les premiers à s’indigner. L’histoire ne daignera point accueillir ces rumeurs méprisables : il y a bien assez de la sellette où M. Olozaga est venu s’asseoir devant le congrès.

M. Ologaza avait pris un tel empire sur la volonté de la reine, que lorsqu’il entra dans son cabinet pour soumettre le décret de dissolution à sa signature, il ne s’attendait pas évidemment à une sérieuse résistance ; il n’osa pourtant proposer tout d’abord un expédient si imprévu, si peu conforme à l’idée que la reine avait pu se faire de la situation des esprits, et par la loi qui la déclarait majeure, et par les circonstances qui avaient poussé M. Olazaga lui-même au pouvoir. L’embarras du ministre ne fut pas de longue durée mais dans le premier moment il était si visible, que, malgré sa grande jeunesse, la reine finit par le remarquer. Ici commence la scène rapportée dans la fameuse déclaration du 29 novembre, et dont les débats de la tribune et de la presse ont fait connaître les moindres détails. Il avait été souvent question, depuis l’avènement de M. Olozaga aux affaires, du retour de Marie-Christine en Espagne ; la reine n’avait point une seule conversation particulière avec le chef du cabinet, qu’elle ne le pressât de rappeler solennellement l’ancienne régente. Dans la soirée du 28 novembre, ce fut là également le sujet sur lequel elle mit l’entretien ; et comme, cette fois, ses