Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/700

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
696
REVUE DES DEUX MONDES.

au nom des quatre vice-présidens, et à laquelle devaient être également appelés les ministres des finances et de la guerre, MM. Frias et Serrano.

On pense bien qu’en attendant l’heure indiquée pour cette audience, Narvaez ne demeura pas inactif. Il fallait, dans la journée même, former un ministère qui portât la déclaration au congrès ; l’alarme était donnée au camp des progressistes, et le bruit courait d’une réunion qui allait se tenir chez M. Cortina ou chez M. Madoz. Narvaez avait bien pressenti les colères qui allaient faire explosion, si les modérés s’installaient au pouvoir, à l’exclusion absolue du parti progressiste. Avant de se concerter avec ses amis, l’idée lui était venue déjà de s’entendre avec le ministre de la guerre. Une démarche de M. Calvet, ami intime de M. Serrano, l’affermit encore dans cette résolution. M. Calvet se rendit chez Narvaez pour protester, en son nom comme en celui de M. Serrano, du plus profond dévouement à la reine ; il chargea le général, si pendant la crise il écrivait à Marie-Christine, d’annoncer à l’ancienne régente que jusqu’au bout ils seraient l’un et l’autre invariablement d’accord avec lui. Déterminé tout-à-fait par les avances chaleureuses de M. Calvet, Narvaez se rendit pour la seconde fois chez le général Serrano. Que Narvaez désirât bien sincèrement ne point rompre la coalition qui avait renversé le duc de la Victoire, cela paraît démontré par ses avances au ministre de la guerre ; mais il s’abusait d’une façon étrange s’il croyait la maintenir en ménageant à M. Serrano la succession politique de M. Olozaga. Ce n’était pas là un gage suffisant pour le parti progressiste. Entraîné par son ressentiment personnel, M. Serrano s’associait trop ardemment à tout ce que les modérés entreprenaient contre le premier ministre pour qu’il inspirât désormais une grande confiance à M. Cortina et à ses amis ; s’il était sorti de la crise président du conseil, il se serait placé vis-à-vis des progressistes exactement dans la situation où nous voyons aujourd’hui M. Gonzalès-Bravo.

Dans le cabinet du jeune ministre, Narvaez trouva un député fort influent de la droite, M. Donoso-Cortès, le chef de l’ambassade que la reine a tout récemment envoyée à sa mère. Instruit de tout ce qui se passait par Mme la marquise de Santa-Cruz, M. Donoso-Cortès était venu de son propre mouvement chez le général Serrano, et il lui soumettait, au moment où Narvaez fut introduit, la minute d’un décret portant la destitution de M. Olozaga. C’est M. Donoso-Cortès qui le premier a proposé la destitution de l’ancien ministre, et c’est le général Serrano qui a le premier accueilli la proposition de M. Donoso-Cortès.

Dans cette entrevue décisive, Narvaez parla avec une énergie entraînante ; il représenta au ministre que, pour un fait dont la responsabilité devait retomber tout entière sur un seul homme, la coalition ne pouvait point se dissoudre. Dans l’intérêt du pays et de la reine, les honnêtes gens des deux partis devaient maintenir la situation telle que l’avait faite la chute du duc de la Victoire. Quant à lui, Serrano, il devait particulièrement ne rien épargner pour calmer les alarmes des progressistes, ces ennemis d’Olo-