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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

parlementaire cessa de nouveau pour faire place à ces manœuvres souterraines, à ces complications d’intrigues purement personnelles qui, dans les pays libres, occupent si tristement l’activité des esprits, lorsque les circonstances leur refusent un plus noble aliment.

Le temps s’écoulait, et, malgré les modifications partielles apportées successivement à la composition du ministère, Pitt restait toujours à l’entrée du cabinet sans pouvoir y pénétrer. Sa patience fut longue, plus longue peut-être qu’on n’était en droit de l’espérer. Il comprenait la gravité des obstacles que lui suscitaient les préventions du roi. Long-temps il espéra qu’elles céderaient aux preuves multipliées de sa conversion à la cause du pouvoir. C’était sur les bons offices du duc de Newcastle qu’il comptait pour conquérir enfin la faveur royale. Dans une lettre qu’il lui écrivit pendant un voyage que ce ministre fit à Hanovre à la suite du roi, on ne lit pas sans quelque surprise les expressions obséquieuses par lesquelles il le remercie de lui prêter son appui dans un lieu où il en a un si grand besoin et où il a tant à cœur de consacrer le reste de sa vie à effacer le passé. Pour expliquer, je ne dis pas pour justifier cette humiliation d’un grand caractère et d’une haute intelligence devant un homme aussi médiocre que le duc de Newcastle, il faut tenir compte de ce désespoir dont le génie qui a conscience de lui-même doit quelquefois se sentir saisi en voyant s’écouler les années de sa force et de sa puissance sans être mis en mesure de se révéler.

Le chef du ministère, Henri Pelham, mourut en 1754. Son frère, le duc de Newcastle, l’ayant remplacé à la tête de la trésorerie et du cabinet, un poste de secrétaire d’état se trouva disponible. Pitt semblait naturellement appelé à le remplir, il fut encore écarté. Ses amis obtinrent, il est vrai, dans le mouvement ministériel auquel donna lieu la mort de Pelham, des emplois très importans. Il se résigna donc ou parut se résigner à ce nouveau mécompte, mais ce ne fut pas sans faire entendre des plaintes amères. Il commençait à craindre que le duc de Newcastle ne fût pas parfaitement sincère dans les bons offices qu’il prétendait lui rendre auprès du roi. Le caractère bien connu du vieux duc n’autorisait que trop un pareil soupçon, d’ailleurs il était dans la nature des choses que cet ambitieux personnage, tout en comprenant la nécessité de ménager un homme qu’il eût été dangereux de pousser à bout, ne se souciât pas beaucoup de l’aider à atteindre une position où, traitant d’égal à égal avec les autres ministres, il les eût dominés par son incontestable supériorité.

Dans cette situation, Pitt crut qu’il fallait recourir à d’autres moyens